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et la ligue de l’enseignement

mes ainsi, depuis des siècles, de père en fils, et ce trait de caractère national n’a pas l’air de vouloir disparaître ; la parole, bien maniée, nous fascine, nous enivre. De là notre profusion d’avocats, notre sympathie instinctive pour eux, malgré nos railleries. Avocat, nul ne l’est moins que Jean Macé. Ne lui demandez pas de grandes phrases, de grands éclats de voix, de grands gestes ; il ne connaît pas cela. S’il vient au milieu de vous, s’il vous appelle autour de lui, ce n’est point pour vous amener au bout d’une heure sur les lèvres cette exclamation : « Comme il parle bien ! » Son souci est ailleurs. Si vous dites : « Comme il a raison ! » je vous jure qu’il en aura infiniment plus de joie, et il ne désire que cette joie-là. Beau parleur, non certes, il ne l’est pas. Je me souviens très bien de l’impression qu’il m’a produite la première fois que je l’ai vu. C’était à Dijon, à l’hôtel de ville. Placé à une extrémité de la salle immense, je devinais le discours plus que je ne l’entendais. À travers les rires et les applaudissements de l’auditoire, je ne saisissais guère que le geste d’une simplicité élémentaire, familier au possible, du conférencier qui riait, s’interrompait, cherchant son mot, et parfois l’appelant du bras et de la main quand il tardait à venir. Jean Macé ne discourait pas ; il causait avec son auditoire comme avec de vieux amis qu’on n’a pas vus depuis longtemps et auxquels on montre tout son cœur. J’avais perdu, en sortant, tout le sel de la conversation. Je me