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compte. Cette prohibition comporte l’idée plus que singulière qu’il n’est pas permis de citer les crimes des Papes ni même leurs erreurs de conduite ou de jugement. Que devient l’histoire ? Mgr, dans ce beau système ? Je connais des auteurs ecclésiastiques qui se sont posé cette question : « Écrivant l’histoire de l’Église, dois-je dire seulement ce qui est à sa gloire, et suis-je tenu de taire avec soin tout ce qui est à sa honte ? » La question ainsi posée, Mgr se résout d’elle-même. La vérité doit être dite sans acception de personnes, et le mensonge direct ou par réticence doit être évité. Un écrivain ecclésiastique peut-il plus mentir ou tromper qu’un autre ? Ne serait-ce pas au contraire celui qui est le plus obligé de montrer l’exemple de la sincérité ?

Quelques uns ont affirmé qu’il fallait cacher les crimes des ecclésiastiques ; d’autres l’ont nié. Lesquels sont honnêtes ? V. G. oserait-elle soutenir comme Évêque que le bien de la religion exige que l’on trompe le public en dissimulant les fautes des ecclésiastiques ? Je ne le pense pas, car ce serait dire que le mensonge peut être le moyen de faire resplendir la religion. Ce serait donc une impiété et un blasphème. La vérité prime tout en ce monde parcequ’à proprement parler elle se confond avec la justice. Dire une fausseté en faveur de l’un est nécessairement une injustice contre l’autre.

Eh bien, Mgr, dans mes études, qui remontent déjà à une trentaine d’années et qui ont été faites d’une manière très systématique, quand j’ai vu un auteur ecclésiastique prétendre qu’il est des choses que l’on ne doit pas dire parceque ce sont des prêtres qui les ont faites, je l’ai de suite classé parmi les trompeurs. Et je demande en toute assurance à V. G. quelle autre conclusion je pouvais tirer ?

Quand j’ai vu Eusèbe, Évêque de Césarée, le premier historien important de l’Église, dire dans la préface de son livre qu’il dirait tout ce qui serait à la gloire de l’Église et tairait tout ce qui serait à sa honte, je me suis demandé quelle autorité pouvait avoir comme historien un homme qui commence par m’informer qu’il va défigurer les faits. C’est bien là le mensonge érigé en système. Eh bien, c’est à ce Eusèbe que remonte la tactique ultramontaine du jour : céler ce qui est à la honte du Clergé et grossir sans mesure ce qui est à sa gloire ! Est-ce de la Religion bien entendue ? Est-ce là le devoir de l’historien ? Sera-t-il louable pour dévoiler les crimes des laïcs et louable encore pour changer ceux des ecclésiastiques en vertus ?

Mais le payen Tacite, Mgr, avait une toute autre notion du devoir et de l’honneur ; et son principe était que l’historien ne doit rien oser dire de faux ni rien oser taire de vrai. Est-ce chez l’Évêque Eusèbe ou le payen Tacite que se trouvait la vrai notion de la conscience ?

Et quand je trouve en flagrant délit de falsification les historiens ou les défenseurs de la Cour de Rome à diverses époques, depuis le trompeur Canissius au 16me siècle, qui recevait des lettres de la Ste. Vierge, jusqu’aux trompeurs de Maistre, et Veuillot du 19me ; quand je les vois changer ou tronquer les textes pour y trouver, ce qui n’y est pas, ou faire dire à l’auteur précisément le contraire de ce qu’il a voulu dire ; quand je vois même des Évêques modernes, dont quelques uns pleins de vie aujourd’hui, en faire autant et tromper le monde catholique par de fausses citations, puis-je vraiment croire que V. G. est dans son droit en prohibant un livre où je ne dis que la vérité pour en permettre d’autres où je vois la vérité outragée à chaque page ? V. G. recommandera par exemple l’ouvrage de M. Veuillot intitulé : Le droit du Seigneur ; et pour celui qui l’a étudié, c’est un des plus honteux livres de mensonge qui aient jamais été écrits. M. Veuillot savait bien qu’il ne tromperait aucun homme instruit : mais il était sûr de tromper une immense masse ignorante qui croirait pécher en lisant les réfutations de son livre. Il en est de même ici, Mgr. Les hommes instruits savent bien que V. G. ne commet qu’un acte