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vienne escamoter d’un mot tous les droits individuels parcequ’il comprendrait la religion comme un moine et non comme un homme éclairé ! Quoi un Évêque qui n’aura fait aucune étude en droit social et politique, et qui sera ranger aux premiers rudiments de l’organisation des sociétés et de leur administration, pourra d’un mot tenir en échec toute l’intelligence d’un pays et défendre aux gens de lire les livres où on leur fera connaître leurs droits ! Et cela dans un pays de constitution anglaise : Allons donc ! Que V. G. se réveille de son long sommeil ! Elle s’est endormie en plein dixième siècle, et continue au dix neuvième l’enseignement de la barbarie du Moyen-âge ! Elle veut encore mettre des menottes à l’humanité ! Elle ne veut pas que l’on pense sans sa permission, ou que des livres se vendent à moins qu’ils n’expriment ses vues étroites et impraticables sur la sujétion de l’intelligence au pouvoir ecclésiastique ! Elle veut imposer la censure sur la terre essentiellement libre de l’Amérique ! Ah ! Mgr, c’est rêver trop longtemps ! V. G. n’est ni de son époque ni de son continent. Elle se trompe de dix siècles dans le mouvement humain, et l’erreur est par trop naïve !

Je sais tout ce que l’école ultramontaine peut dire en revendication de son droit de mettre le bonnet d’âne sur un pays. Je sais que l’on peut arguer de mauvais livres, de livres infames, et tous ces grands mots avec lesquels on a fait la nuit pendant dix siècles l’Europe ! Vico, Sarpi, Galilée, Newton, Descartes, Molière, Bossuet même avec les fanatiques du jour, Montesquieu, Pothier, Sismondi, Michelet, et mille autres n’ont écrit que de mauvais livres que V. G. a le droit de défendre d’acheter ou de garder chez soi ! Ah ! V. G. abuse vraiment de la permission qu’ont tous les hommes, et même les Évêques, de se tromper !

Et si je voulais traiter la question du prêt à intérêt, en démontrer la complète légitimité en droit et en raison puisqu’il est une condition nécessaire des rapports d’affaires entre les hommes, V. G. défendrait intelligemment à tous les fidèles d’acheter un livre où je démontrerais irrésistiblement les plus augustes erreurs ! Et si je n’avais pas d’autre moyen de vivre, il me faudrait aller manger le pain amer de l’exil parce que j’aurais affaire à un Évêque qui n’aurait pas les plus communes notions de droit social et économique ! Ah ! Mgr quand les Évêques sont de cette force, ils feraient bien mieux de ne pas sortir de leur sphère légitime et ne pas se montrer aux gens réfléchis sous un jour aussi défavorable ! Si vous ne pouvez pas avoir une idée juste et saine, restez chez vous et ne venez pas chez nous !

Si V. G. voulait bien m’accorder ce que je demande, une discussion sérieuse, faite dans un bon esprit de part et d’autre et uniquement pour chercher le vrai, et qui aurait lieu dans le même journal neutralisé pour l’occasion ; j’oserais me charger de faire, en peu d’articles la reductio ad absurdum de tout le système ultramontain au temporel. Et c’est parceque la chose est facile, et sure avec un homme qui connaît le système, que V. G. n’acceptera pas ma proposition.

Je me bornerai donc pour le moment à rappeler à V. G. que sous la constitution et les lois anglaises, un Évêque n’a pas le droit de violer la liberté de la presse et de brider la pensée humaine ; qu’il n’a pas le moindre droit d’infliger un tort aux citoyens dans leur fortune ou leurs moyens d’existence ; qu’il n’a pas le droit de couper les vivres aux écrivains ou aux journaux en défendant au public d’acheter ceux-ci ou les livres de ceux-là ; qu’il n’a pas l’ombre de droit, sous les institutions anglaises, d’appliquer pratiquement ces malheureux articles de discipline du Concile de Trente que tous les états catholiques de l’Europe ont rejetés ! Philippe II le catholique, le bourreau des Pays-Bas où il faisait enterrer les femmes protestantes toutes vives, n’en a pas voulu ! Les Rois de France qui faisaient cuire les protestants dans l’effroyable supplice de l’estrapade, et qui ont fait la St. Barthé-