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LETTRES DE FADETTE

elle de plaintes et d’appels plaintifs, et ses crises de désespoir et de terreur se compliquant de détresses physiques, détruisent toute espèce d’équilibre, et le corps suit l’âme dans cette course à l’abîme.

On l’aperçoit rarement à la pension, et pas une des désœuvrées qui l’habitent n’a la charité de s’approcher de l’enfant, nulle ne s’inquiète de l’éclat de ses yeux, de sa pâleur, de son apparence étrange. Elle ne dort plus et s’alimente à peine, et c’est machinalement à présent qu’elle continue à se traîner près du lac. Couchée sur le sable, immobile, elle ne souffre même pas et elle ne sait plus pourquoi elle est là. La faiblesse l’envahit, et elle glisse dans une somnolence étrange et douce : des roseaux et des joncs, des vagues et du vent sortent de graves harmonies, des fredons légers qui la bercent, les herbes mouillées l’effleurent de leur caresse fraîche, et elle rêve qu’elle s’en va vers son ami, qu’il est là tout près, qu’il lui fait signe de venir, et un soir, péniblement, elle se lève et s’avance, les mains en avant, tendues vers l’ombre évoquée par sa fièvre… l’eau bat ses genoux, elle avance encore, et l’eau monte, frappe sa poitrine, lui arrache un halètement ; un court arrêt et elle repart, fait encore quelques pas et s’abat, s’abîme dans l’eau, sans une plainte, sans un cri.

Des promeneurs qui l’ont vue de loin l’ont prise pour une baigneuse et ne s’en inquiètent qu’en la voyant disparaître. Quand elle