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rencontrons sont bien séduisants : nous nous y attardons, riant des sages qui voulaient nous en détourner. « Ils ne savent pas ce qu’ils perdent, nous disons-nous, et les fous ce sont eux ! »

Ça va bien quelque temps, nous sommes non seulement heureux et libres, mais très bons aussi, et nous nous en vantons à qui veut l’entendre.

Cependant, en suivant la lumière fuyante des Chimères que nous poursuivons, nous arrivons à un sol mouvant qui nous inquiète, et en nous désaltérant aux sources empoisonnées, voilà que nous sentons notre faiblesse… nous commençons à avoir peur, nous soupçonnons la possibilité d’être entraînés plus loin que nous ne le voudrions ; volontiers nous reviendrions au bon chemin monotone et abandonné. Mais voilà, nous serions seuls, et nos compagnons se moqueraient de nous. Lâches, mal à l’aise, nous poursuivons la route que nous savons ne pas être la bonne, un peu dégoûtés de ce qui nous avait séduits, mais incapables de la seule résolution qui nous sauverait. Ne voilà-t-il pas l’histoire de presque tous ?

Et quelle que soit la route suivie, nous serions écrasés par notre ignorance de tout, si nous réfléchissions un peu sérieusement. Nous ne connaissons ni la vie, ni la mort, ni le cœur de nos amis, ni le nôtre. Nous ne savons rien de demain qui peut être notre dernier jour… est-ce que cela nous empêche de gaspiller l’aujourd’hui ?