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un sanglot lointain. Puis le vent reprend rude et puissant : il soulève le sable en tourbillons, il secoue et courbe les arbres dans des mouvements affolés, et quand il cesse un instant, la même voix frêle de détresse reprend en sourdine : elle gémit, elle pleure, et elle met dans le cœur l’émoi d’une défaillance. On la reconnaît : c’est la voix éternelle de la douleur à travers les âges. Aussi ancienne que le vent, elle fut d’abord la douleur des choses brisées, dispersées et tourmentées, puis elle devint la douleur humaine qui ne cesse de se lamenter. Couverte par le fracas des éléments, par l’agitation de la vie matérielle, elle n’élève pas la voix, et plus elle est sourde, plus elle est profonde. Elle est partout, comme le vent, et nul coin de la terre ne l’a pas entendue, car sans elle, les hommes ne seraient pas des hommes mais des dieux.

Voilà la tempête déchaînée : je n’entends plus la voix qui pleure, mais des milliers de voix qui vocifèrent dans la nuit. Tout est chaos : les nuages bousculés s’écrasent, se confondent, se dépassent, et leur masse formidable paraît saisie de vertige. L’un d’eux, chargé de grêle, crève au milieu des autres, et les grêlons crépitent assourdissants, ils roulent et bondissent sur le toit comme des génies malfaisants. J’allume ma lampe car je commence à avoir peur d’être seule au milieu d’un tel tapage, et peu à peu je me rassure, car cette petite chose qui m’éclaire a une âme qui me parle et je ne sens plus