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LETTRES DE FADETTE

de faire acceptable à nous-mêmes et à ceux qui dépendent de nous.

J’ai souvent à la mémoire cette si jolie nouvelle de Bazin, où il nous explique Grise, cet autre lui-même, qui est en son âme et avec qui il cause et discute. — « Qui donc est-elle ? — Quelque chose qui est en nous tous, le compagnon qui parle quand nous sommes seuls ; en vérité, je le crois, une moitié de mon âme, la plus libre et la plus jeune. Ni les souvenirs ne l’arrêtent, ni l’expérience ne l’assagit. Elle est celle qui va devant, qui bat la campagne et qui voit tandis que l’autre écoute et juge. Ceux qu’elle aime avec nous sont deux fois aimés, je l’appelle Grise et je me défie d’elle, et je m’amuse quand elle chante en moi. »

Nous n’avons pas baptisé cette âme de notre âme, mais celui qui s’habitue à s’entretenir avec elle ne connaît pas l’ennui qui naît de l’isolement. Rien n’aide à être heureux comme de se sentir approuvé par cet autre nous-même, et si nous nous en occupions davantage, nous vivrions une vie intérieure plus profonde, et nous éviterions l’éparpillement qui nuit tant au bonheur.

Enfin, puisqu’il suffit de se croire malheureux pour l’être réellement, nous devrions être heureux en croyant que nous le sommes. Et nous le sommes toujours relativement à ceux qui sont dénués de tout et auxquels nous ne pensons pas assez comme étant des êtres vivants et tout près de nous.