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l’avouer, elle a eu peur de la grossièreté qu’il cachait mal, et, devinant instinctivement son incompréhension, elle n’a jamais voulu l’approfondir, de crainte de voir se briser le beau rêve auquel elle se cramponne aujourd’hui avec un commencement d’épouvante.

Elle est toute simple et n’analyse pas cela bien clairement : au contraire, elle essaie de faire taire les voix intérieures avertisseuses, et, pour cela, elle évoque les attentions, les mots d’amour, toute la griserie des joies passées…

Au cours de ses réflexions, elle avise un moule brillant, et une idée de petite fille lui inspire un projet aussitôt réalisé qu’imaginé.

Et le soir, en grand mystère, elle enveloppe d’un papier soyeux le beau cœur de sucre blond et dentelé : elle l’attache d’une faveur rose, et l’ayant caché dans un vieux journal, elle obtient de son petit frère qu’il le portera demain chez Pierre, à une bonne lieue de chez elle.

En revenant du marché, Pierre, un peu gris, trouve donc le souvenir de sa petite amie. Il le jette d’abord dédaigneusement sur la table, puis, se ravisant : « Tiens ! Tiens ! le cœur de la p’tite Marie-Anne, ça ferait un beau présent pas cher pour Léa ! J’y porterai demain. »

De ses gros doigts gourds, il refait gauchement le paquet, le met dans sa poche de « capot », et il ne donne pas une pensée à Marie-