Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, troisième série, 1916.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui ondoient comme de grandes plumes en montant vers le ciel.

Le silence serait parfait sans le bruit monotone de l’eau, quelques voix d’oiseaux et un bruissement à peine perceptible, comme un grésillement de la lumière. Le joli tableau que je regarde ressemble tant à ceux que chaque année met devant mes yeux, que je perds la notion du temps et que je feuillette comme dans un livre illustré tous les printemps passés.

Aucun souvenir distinct pourtant ne se dessine. Ce sont des impressions indéfinissables, fugaces, qui disparaissent si je m’applique à les saisir. Je me sens seulement bien vivante au milieu de tous ces printemps disparus qui passent comme des visions légères autour de moi et en moi, sans que je puisse en retenir aucune. Et je comprends bientôt que c’est l’âme même du Printemps qui est entrée ici et je la retrouve avec un bonheur grave aussi près des larmes que du sourire.

La fête sera complète, ma voisine s’est mise au piano et par la fenêtre ouverte m’arrivent les premières notes de cette sonate de Grieg que j’aime tant, parce que pour moi, elle est comme le poëme de la vie que j’y retrouve toute, depuis les premiers sons lents et berceurs, doux comme le chant des berceaux où les petits enfants dorment, ignorant le monde où ils viennent d’entrer et leur âme qui n’est pas encore éveillée.

La mesure s’anime : c’est l’éveil, la joie