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tout seul dans son étage, il se sentait si abandonné et exposé aux fureurs de ces êtres surnaturels rôdant autour de lui et prêts à l’emporter au bout de leurs grandes fourches. Comme il dut appeler sa mère ! Non, les morts n’ont plus rien à faire avec les vivants puisqu’une mère ne peut venir doucement la nuit rassurer son petit qui tremble !

Je l’ai vu souvent à l’église : il se tenait droit comme un I, ce qui ne l’empêchait pas d’être gourmandé plusieurs fois pendant la messe : de grosses larmes tombaient sur son livre, et il ne faisait pas un geste pour les essuyer.

Je le perdis de vue pendant quelques mois, et quand je revins ce printemps il ressemblait à un petit fantôme ; il n’avait de vivant que les yeux… de grands yeux affamés, chercheurs, un peu effarés, des yeux de petite bête traquée.

Surmontant la répugnance que m’inspirait la veille femme, j’arrivai, en flattant ses manies, à entrer assez familièrement chez elle, non sans subir quelques rebuffades quand je laissais trop paraître ma pitié pour le petit malade. Car il était tout à fait malade et on le voyait s’en aller de jour en jour. Je lui portais des fleurs qu’il aimait et qu’elle lui avait toujours défendu de cueillir dans son jardin où elles se fanaient sur pied. Je lui racontais des histoires, et quand la tante disparaissait je le caressais comme sa mère l’eût fait, et il se serrait dans mes bras en fermant les yeux.