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une âme à toutes les choses. Avons-nous devisé ensemble sur l’angoisse des arbres qui soupirent dans l’espace, sans que nous, étrangers à leur langage, puissions deviner ce qu’ils désirent ou regrettent ! Nous observions les oiseaux, leurs voyages, leurs fêtes, leurs nids remplis de beaux œufs couleur de pierres précieuses. Pour elle les fleurs avaient un visage et elle leur parlait comme à des petites personnes. Elle aimait toutes les bêtes avec une sollicitude touchante. Patiemment, nous cherchions ensemble ce qui peut s’élaborer dans ces cervelles obscures, au fond de ce rêve dont ils ne s’éveillent jamais : idées sans conscience qui n’ont pas de mots pour s’exprimer.

Le soir où je lui appris que les étoiles ont des noms, comme les fleurs, elle fut charmée. Son regard plongeant dans la transparence profonde, elle apprenait à les distinguer, et son cri de joie quand elle réussissait était tel, qu’on aurait dit qu’elle cueillait l’étoile et s’en emparait ! Une nuit que je m’étais laissé entraîner à lui parler des myriades de soleils semés dans l’espace, si nombreux que leurs pointillements se confondent en des lueurs lactées, si lointains que leurs flèches de lumière percent l’éther pendant des années avant de pénétrer dans nos pupilles, je la sentis se serrer contre moi et m’étreindre, comme si la terre eût manqué sous ses pieds : c’était le grand frisson de l’infini qui venait d’envahir sa petite âme trop faible pour de si écrasantes visions : « Rentrons, dit-elle, j’ai peur ! »