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hasardée de son salut pour prendre chez soi une fille possédée, et on voyait de plus en plus qu’elle l’était ! On n’aurait pas eu, non plus, le cœur de mettre la pauvre innocente dehors, tout de même ! Il arriva que le père Marouette, le meunier, se laissa gagner à travailler fort avant dans la nuit. La mouture pressait, et il était autour de minuit quand il revint chez lui en longeant le bord de l’eau. Entendant un bruit de rames, il se retourne, et les cheveux lui en dressent sur la tête, quand il aperçoit une grande barque toute noire, et la Grite, morte, étendue au fond. À l’avant, un squelette pointait le chemin, tandis qu’un autre squelette ramait avec un cliquetis d’ossements. Épouvanté, le père Marouette voulut se sauver, mais, nix ! ses pieds collaient à la terre. Il écrasa sur place, et au matin on le trouva quasiment mort. — Il était saoul, peut-être ? fit placidement la vieille. — Pour dire le vrai, le père prenait son petit coup quelquefois, mais il nous a juré que cette nuit-là il était correct. — Et la Grite ? — Disparue, ma chère Dame… on ne l’a plus revue… puisque le diable était venu la chercher, c’est pas bien étonnant. — Voyons, Monsieur François, elle a dû se noyer ou s’égarer dans la montagne ? — Justement ce que le curé nous disait ! Il nous força de la chercher, et j’en étais de ceux-là, mais c’était pas la peine, allez ! On ne va pas chez le diable chercher le monde ! Les loups l’auront mangée, fis-je, entêtée. — Pour des loups, il y en avait gros dans le