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tristesse du froid humide qui embuait les vitres. J’aurais aimé rester seule avec mes pensées, mais leur prière finie, les deux vieux revinrent auprès du feu : elle, toute menue, serrée dans son châle de laine, pour tricoter « par cœur » ; lui, pour « tirer une touche » et m’offrir l’histoire du coin du feu que je réclamais presque tous les soirs. Il avait tout un répertoire de ce qu’il appelait « des peurs », où la vérité et la fantaisie se mêlaient d’une façon étrange et saisissante.

Il racontait merveilleusement : je vous dirai bien son histoire, mais je ne puis vous faire entendre le langage pittoresque, le ton convaincu, mystérieux, qui m’impressionnait malgré mon scepticisme qu’il sentait et qui l’indignait.

« Il y a bien sûr trente ans, — c’était en octobre et il faisait un brouillard glacé comme ce soir, — que le curé, revenant des malades, trouva sur les marches du presbytère, une petite fille de trois à quatre ans, enveloppée dans une méchante couverte et transie de froid et de peur. Pendant deux jours on n’en put tirer un mot et on la crut muette. Elle n’était ni muette, ni infirme, et nos voisins, des habitants riches et sans enfants, offrirent au curé de l’élever, car malgré toutes ses recherches, celui-ci n’avait pu savoir d’où elle venait. Il se passa quatre ou cinq années, puis, je ne sais ni pourquoi, ni comment, le bruit se répandit, peu à peu, que l’enfant était ensorcelée, et qu’on lui avait jeté un sort. Elle aurait été bien jolie si elle