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nous penchant au-dessus des abîmes que nous n’avions jamais sondés, nous y voyons des sentiments si étranges, que nous ne nous reconnaissons plus : nous cédons à des impulsions si nouvelles, nous faisons des actions qui ressemblent si peu à nos pensées habituelles, que nous avons l’impression angoissante d’être vraiment les jouets du hasard de la vie qui nous pousse, nous mène et nous domine.

Avoir éprouvé une seule fois cette détresse de nous juger inférieurs à nous-mêmes, c’est avoir touché le fond de la misère humaine, car, autant nous nous pardonnons aisément les fautes où nous entraînent nos penchants naturels, autant nous sommes humiliés de nous être démentis, d’avoir été différents et au-dessous de ce que nous croyions être.

Perdre confiance en soi, c’est infiniment triste mais cela peut toutefois être un bien. Car toucher le fond de sa misère et la repousser vigoureusement du pied, c’est remonter d’un bond vers la lumière, et à cette lumière nous saurons mieux regarder la vérité : la vérité de notre âme et la vérité de la vie.

Ce n’est pas vrai que nous sommes les jouets du hasard. Nous ne choisissons ni notre milieu, ni le cadre où nous évoluons ; nous dépendons d’événements et d’accidents incontrôlables, mais il y a une part de notre vie qui dépend uniquement de nous, et toutes nos erreurs, explicables par ces choses qui ne dépendent pas de nous, sont cependant imputables aux défaillances de nos volontés.