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beaux yeux. Elle eut une seconde d’hésitation, puis elle dit moins sèchement : — Regarde dans ton cœur, Robe Noire, tu y trouveras mon chagrin. — Je ne comprends pas, ma pauvre petite, explique-toi, que puis-je faire pour te rendre service ?

Farouche, elle secoua la tête, refusant de répondre. Le bon Père reprit : — Tu sais que le bon Dieu, mon Manitou à moi, entend mes prières, je lui demanderai de te consoler. — Elle haussa les épaules, froidement dédaigneuse, puis, un éclair méchant dans les yeux, elle murmura passionnément : — Ton Manitou, je le déteste… et toi aussi ! — Et elle s’enfuit si rapidement que le religieux, interloqué, resta planté là, la regardant disparaître en se demandant ce qui pouvait bien se passer dans cette petite tête de primitive qui lui rappelait en ce moment les mystérieuses complications de ses sœurs de France.

Pendant ce temps, la jeune indienne poursuivait sa course : elle traversa la bourgade, et s’engageant dans un sentier de la forêt, légère et rapide, elle continua son chemin sans souci de l’ombre qui descendait et des branches qui accrochaient ses cheveux.

Elle s’était sauvée afin de ne pas céder au désir de se plaindre à la Robe Noire. Non, elle ne s’humilierait pas jusqu’à le prier de lui rendre celui qu’elle aimait, le beau Nitahokan !

Il lui avait dit, quand les pommiers étaient en fleurs, qu’elle lui plaisait, que ses yeux