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pénibles, et la vie de celle qui n’entend parler que de chiffons et de modes pour les autres est curieuse à étudier. Condamnée à subir les exigences et les caprices des femmes dont la mode est une déesse qu’elles servent dans le désappointement de n’être pas plus belles malgré leurs sacrifices d’argent et de temps, la couturière, si elle est intelligente et sérieuse, juge bientôt et méprise la vie creuse des mondaines. Dans son atelier, les bonheurs, les deuils, les drames intimes se frôlent comme les satins roses et les crêpes noirs : personne ne lui fait de confidence, mais le long miroir qui reflète les visages détendus et sans défiance, garde pour l’ouvrière le secret des mystères auxquels elle songe en tirant l’aiguille pendant les longues soirées solitaires. À deviner tant de choses, à tant observer et réfléchir, il y en a de ces dispensatrices de mode qui deviennent des sages, j’en connais même qui sont des saintes. Elles ne comprennent pas bien pourquoi c’est leur destin de parer le bonheur des autres sans avoir jamais eu le loisir de chercher le leur, mais elles ont compris les vérités hautes- qui font leur âme sereine. À voir se briser tant de rêves, à regarder les vies si légères d’apparence devenir si lourdes à porter, elles sentent qu’elles ne sont pas si à plaindre après tout. Dans l’isolement de leur vie laborieuse, elles ont un coin de leur âme où elles conservent les bonnes paroles, les pages réconfortantes, les pensées que les anges leur suggèrent pendant qu’elles drapent les étof-