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étincelant et beau ; s’il n’y avait pas de nuit obscure, le jour deviendrait sans doute vieux et poussiéreux.

Nos âmes ont des ressemblances étonnantes avec le vieux jour : c’est après nos descentes et nos chutes dans les abîmes de l’ignorance et de la faiblesse qu’elles remontent comme des aubes claires, éveillées aux pensées neuves, attentives à ce qu’elles n’avaient pas vu encore, jeunes et renouvelées en dépit de toutes les années passées, car pour les âmes comme pour les jours, c’est un perpétuel recommencement.

À la vérité nos âmes ne sont vivantes qu’à la condition de se transformer sans cesse. La mort, pour elles, c’est de ne plus sentir l’impulsion qui les porte vers la perfection et de s’immobiliser dans des limites étroites où elles cherchent un bonheur immédiat.

La souffrance, heureusement, délivre l’âme de cette petite mort et l’appelle à réaliser le désir profond de l’infini que recèle chacune mais qui n’est senti par elles que lorsque leur échappe ce qui ne peut durer.

Quand je regarde courir le fleuve, j’entends les vagues qui chantent : « Je serai la mer »… et c’est la vérité, le fleuve ne peut faire autrement que d’aller à la mer, il sera la mer, et il le sait. Sur ses rives il y a des champs et des villages, des forêts et des villes : il reflète leur vie, il leur prête de la sienne, il est pour eux un plaisir ou un danger, mais il ne peut ni s’arrêter, ni ralentir sa course : il va à son but, à la mer profonde et il s’y perdra en se confondant avec elle.