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LI

Triste ?


Dans le courrier de Fadette, il y avait ce matin une lettre grise, jolie et triste, où une amie inconnue me priait d’écrire cette semaine comme si je m’adressais à elle qui est « perdue dans un brouillard de tristesse où elle ne distingue plus rien ». Je veux bien lui parler, mais cela la consolera-t-il si je lui dis qu’en effet la tristesse est un brouillard éternel, qui sort matin et soir du cours agité de notre vie : le soleil de la joie ne réussit pas à le dissiper pour longtemps. La tristesse est en nous, autour de nous, nous l’apportons en venant au monde ; elle nous précède ou nous accompagne comme notre ombre, suivant les heures.

Sans le savoir, nos âmes ont la nostalgie de l’Eden où nous devions être heureux : nous commençons à pleurer en entrant dans la vie, et nous allons ensuite des petites aux grandes déceptions, avec le désir insatiable du bonheur infini qui ne rencontre jamais que les joies brèves et précaires de la terre.

Tristes ! nous le sommes tous, ma pauvre petite. Que ce soit le présent qui nous inquiète, l’avenir plein d’appréhensions, ou les détresses passées qui font saigner en nous des blessures anciennes, notre cœur tremble toujours un peu, même s’il est très heureux !