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n’eussent découvert l’infirmité de la petite : avec amour et patience son père et elle se consacrèrent à son éducation et essayèrent de développer son intelligence, mais ils ne purent jamais se décider à se séparer d’elle pour la placer dans une institution spéciale. — Nous avons peut-être eu tort, nous n’avions pas le courage nécessaire.

Pendant que nous causons, la jeune fille file… la laine en rouleaux moelleux devient fine et mince, et s’allonge égale, unie, comme la petite vie qui se déroule entre ces deux affections protégeantes et exclusives qui ont eu peur du sacrifice.

Elle a grandi comme une plante bien soignée, mais que se passe-t-il dans cet esprit fermé à toutes les influences extérieures ? À quoi pense-t-elle dans le silence éternel qui l’isole de tous ? Y a-t-il seulement des pensées qui vivent et s’agitent dans cette âme mystérieuse ?… ou bien, ses grands yeux clairs, qui suivent vaguement les nuages en marche, ne voient-ils que des formes, et ne réflètent-ils jamais ce qui passe dans son esprit ?

Du matin au soir, elle file ; quand la laine manque, elle est inquiète et malheureuse. Le bruit monotone du rouet actif couvret-il les soupirs d’une âme captive qui sent sa misère et voudrait s’élancer dans la vie dont vivent les autres ?

Nous ne savons rien d’elle, elle ignore tout de nous…