Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, quatrième série, 1918.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nous sommes bien ici ! Mais j’ai peur, moi, de ce qui vient. Et l’année prochaine, à cette même date, nous serons peut-être dans l’angoisse de l’inquiétude… ou dans le deuil ! »

Ce spectre de la conscription était tapi au fond de nos cœurs, et de l’en sortir avec des mots conjura le silence qui avait pesé sur nous.

Nos langues se délièrent et dans la demi-obscurité de la pièce qu’on refusa de faire éclairer, nous laissâmes nos cœurs déborder, et il se dit bien des choses dans mon petit salon !… bien des choses tristes, libertaires, amusantes ; généreuses et charitables aussi, bonnes gens, rassurez-vous !

Car il y a des gens qui voudraient qu’on ne soit bon qu’à leur façon, qu’on n’entende les choses que de leur oreille, qu’on ne soit charitable que pour leurs œuvres, et qu’on fasse table rase de toutes nos opinions pour adopter les leurs, en les remerciant gentiment de nous enlever la peine de penser par nous-mêmes.

Ceux-là auraient peut-être un peu dressé les oreilles en entendant nos petits discours et ils n’auraient pas manqué une si belle occasion de nous critiquer.

Mais aucun de ces fâcheux n’était là, et je vous prie de croire que personne ne se gêna pour dire sa façon de penser. J’ajoute modestement que si notre façon de penser a ses audaces, elle demeure raisonnable, et nous aurions certainement étonné nos