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IV

Entre chien et loup


Fin de jour… une tristesse s’est glissée avec l’ombre dans le joli salon où nous cousons pour les pauvres. Et le silence peu habituel n’est même pas remarqué par les bavardes que nous sommes ! Avons-nous parlé, ici, tous les vendredis, depuis tant d’années et sur tous les sujets imaginables ! Dans le petit cercle intime nous avons appris à déposer le masque obligatoire, et nous risquons nos opinions sans compromettre notre réputation de personne raisonnable ! Le soleil ou la pluie, les chansons ou les plaintes du vent ont nuancé ces conversations intimes, où plus d’une, exprimant d’un air détaché une idée générale, laissait apercevoir, sans s’en douter, les propres mystères de son cœur. Aujourd’hui nous étions silencieuses et chaque essai de conversation retombait comme un oiseau dont l’aile est brisée.

L’horloge égrenait les minutes lentement, et la première neige, dans un frôlement délicat, se plaquait sur les vitres avec un petit bruit d’insecte qui gruge ; l’ombre grandissait, les ouvrages glissèrent sur les genoux des travailleuses, pendant que leurs doigts fins jouaient distraitement avec les dés et les ciseaux qui jetaient des lueurs claires quand un rayon du foyer les touchait. — « Comme