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I

Feuilles mortes


Il y a du bonheur épars dans la douceur de l’air : les feuilles d’or pleuvent, c’est la fin de la saison, mais rien n’est triste dans la lumière voilée, et nous aimons à aller par les chemins où les passants sont rares et où l’on garde pour soi, sans l’éparpiller, la joie de cette beauté resplendissante qui se meurt.

Je vous dirai une de mes petites faiblesses parmi toutes les grandes moins louables que je ne vous dirai pas. C’est une pitié tendre pour les feuilles encore si jolies et si fraîches que le vent jette sous nos pas ; je les relève et j’en apporte des paquets à la maison.

Hier soir, j’en avais une collection étendue sur la table : sous le large abat-jour, elles semblaient de fines mosaïques incrustées dans le chêne brillant.

J’en cherchai inutilement deux semblables.

Le bon Dieu les a faites toutes différentes, comme nos âmes dont quelques-unes sont ardentes comme les feuilles empourprées de l’érable, d’autres lumineuses comme les feuilles d’or de l’orme, il y en a des grises comme celles des chênes, des blanches comme celles des trembles, des vivantes comme les feuilles vertes que la gelée a épargnées.

Toutes différentes et si ressemblantes, pourtant, que lorsqu’on parle de nous en disant