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Enveloppée dans le tissu impalpable, mais compact dans lequel elle se sent étouffer, elle va à l’aveugle, toujours bornée par la brume qui recule à mesure qu’elle avance. Elle ne reconnaît plus ceux qui la précèdent, elle ne peut voir ceux qui la suivent : elle se sent infiniment seule et désolée, dans une solitude peuplée de fantômes. Elle a peur, elle ne sait de quoi : elle se meurt de fatigue, elle ne sait pourquoi. Ce qui dissipera le brouillard d’aujourd’hui, c’est une saute de vent : il fera froid, clair et sec et la brume disparaîtra. De quoi est-elle faite cette brume ? De vapeurs humides et malsaines.

Ainsi en est-il des brumes dans lesquelles nos âmes se sentent perdues. C’est le vague sentimental, la tristesse malsaine et imprécise, les désirs inquiets, les regrets dangereux : ils enveloppent notre âme, ils l’isolent dans la vie peuplée, ils l’immobilisent dans la vie active. C’est un état dangereux : il faut en sortir par un violent effort de volonté, par la raison sèche, par le froid des réalités regardées en face, acceptées parce qu’il le faut, et parce qu’on le doit.

Ne nous laissons pas enrouler dans les voiles qui rendent les choses indistinctes et vaporeuses ; redoutons la mollesse qu’entraînent ces heures de lassitude, où les souvenirs troublants nous mordent au cœur. Elle est triste la vie, dites-vous ? Oui, hélas, souvent ! Mais ce n’est pas dans le vague du brouillard qu’il