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Mais avant d’être couchés sous les grandes croix qui nous couvriront de leurs bras étendus, que de morts nous enterrons chaque jour dans notre cœur !

Peu à peu les croix s’y dressent, toujours plus nombreuses et plus rapprochées : nos rêves, nos illusions, nos espoirs, nos bonheurs, nos tendresses, nos confiances ! Comme il y en a des morts dans notre cœur !

Les cloches sonnent toujours ; elles se cherchent et se répondent : leurs ondes sonores chuchotent des choses d’antan, elles évoquent des images effacées, il semble que leurs grandes voix s’enflent de tout ce qui déborde de notre âme qui se souvient.

Le passé surgit, le plus lointain passé, confus d’abord, ainsi qu’une forme entrevue dans le brouillard, puis se dessine plus détaillé peu à peu, et tout entier, il passe devant nos yeux, si près, si nettement, qu’il est à notre portée, que nous pourrions l’attirer à nous.

Et toujours, depuis notre petite enfance, ces cloches ont pleuré à mesure que la mort échelonnait les deuils dans notre vie : la mort passait, mais la vie continuait. Nous pleurions nos morts, mais la vie nous emportait, et si leur souvenir demeurait vivace, la grande douleur s’adoucissait, fondue dans notre cœur comme se fondent dans l’air endormi les derniers sons de la cloche qui se tait. Comme il y en a des morts dans notre vie ! Comme il y en a des morts dans notre cœur !