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LETTRES DE FADETTE

rive d’envier la quiétude de la bonne et confortable grosse dame dont le principal souci se borne à faire « bien manger son monde ».

Trois des dernières communications reçues expriment la même curiosité en des termes qui se nuancent à la tournure d’esprit des questionneuses.

Posée en boutade rieuse par la petite personne gaie, tristement par la délicate que la vie meurtrie, tragiquement par celle que la souffrance affole, la question, dans toute sa simplicité apparente, est celle-ci : Pourquoi, entre des personnes qui s’aiment réellement et qui se veulent du bien, y a-t-il des barrières morales infranchissables qu’aucune bonne volonté ne peut démolir ? Tout au plus, aux très bons jours, est-il donné aux séparés de s’apercevoir par-dessus le mur et au prix d’une gymnastique spirituelle qui ne peut durer longtemps ! — Cette impossibilité de se comprendre se révèle dans les silences qui glacent, dans les réponses « à côté », dans les interprétations qui blessent ; on a beau faire d’un côté et de l’autre, l’entente rapide et spontanée est impossible, et le danger des explications décourage souvent de les tenter. « À quoi bon ? se dit-on, il ne peut comprendre ! elle ne peut savoir, c’est inutile ! »

Et l’on se tait, ou l’on parle froidement quand il faudrait convaincre et persuader, et l’on échoue misérablement.

Ces « séparés » sont des éternels étrangers !