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LETTRES DE FADETTE

LII

Solitude et souvenirs


Une de mes amies inconnues m’écrit qu’elle croit maintenant que je suis une fée, une fée qu’elle veut connaître et elle me cherche partout, dit-elle. Pour lui éviter des démarches inutiles, je lui conseille de ne pas me chercher en ville, ces jours-ci ; la pluie laide m’en a chassée et les fées de mon espèce endurent mal la laideur.

Où je me suis réfugiée, la pluie est fine et douce, la boue est si loin qu’on peut oublier son existence.

Dans l’intime recueillement du jour gris, derrière les vitres à petits carreaux, je vois le gazon tout vert : les feuilles rousses y dansent des sarabandes folles, enlevées par le vent qui rythme leur ronde d’un sifflement à la fois lugubre et gai : c’est qu’il accompagne une danse, mais une danse de mortes ! Deux vieux saules, tout près, balancent de-ci de-là leurs énormes têtes encore touffues et vertes… ils doivent songer à toutes les choses qu’ils diront encore avant d’être dépouillés et noirs comme leurs pauvres voisins… dans le lointain, des montagnes mauves se profilent sur un ciel maussade que chaque minute rend plus menaçant.

Mais qu’importent ici les vents furieux et le déluge ?

Dans la grande maison bien close, quand