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fit traverser, vers la vingtaine, une crise de révolte dont le récit me fit pleurer.

Souffrante et aigrie, ne rencontrant que l’indifférence, sentant profondément l’injustice qui l’isolait même dans sa famille, où ses sœurs avaient « honte d’elle », et où régnait une belle-mère dont l’autorité était dépourvue de douceur et d’affection, elle en vint à accuser Dieu de cruauté, et tous les soirs, « quand il n’y avait personne à l’église pour me voir pleurer, j’allais lui crier ma souffrance et la lui reprocher. Que lui avais-je fait pour mériter une vie nue et vide, sans beauté, sans jeunesse, sans tendresse, sans intérêt d’aucune sorte ? Pourquoi moi plutôt que mes voisines ? Et il faudrait vivre ainsi toujours, sans changement en moi et autour de moi ! Je serais toujours « la croche », et les autres seules seraient belles, aimées, heureuses ? Et on dit que vous êtes le bon Dieu ? Vous ne l’êtes pas pour moi ! »

Tous les soirs, dans l’église déserte la plainte de l’infirme montait désolée et rien ne lui répondait que le pas lourd du bedeau qui préparait l’autel pour la messe matinale… et quand les pas se rapprochaient, elle savait qu’il venait fermer l’église, et l’âme lourde, elle s’en allait, en boitant, vers la maison où les rires et les jeux des réunions jeunes la faisaient se réfugier dans sa chambre, et jamais personne n’était venu lui dire bonsoir.

Les mois passaient, et les années, et aucune