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tout ce qui est humain, lumineusement belle comme tout ce que touche le divin. Je l’ai entendue bribe à bribe, j’en ai vu passer l’angoisse dans les yeux sombres et ardents, j’en ai conservé la douceur surhumaine, et pour vous qui souffrez, et pour vous qui ne pensez pas à ceux qui souffrent, je veux l’écrire très simplement comme elle me fut confiée.

On l’a toujours appelée « la Croche », et elle n’a jamais entendu sans tressaillir le sobriquet cruel. Elle a commencé à avoir peur des autres à l’âge où les petits ne soupçonnent pas la méchanceté : les enfants se moquaient d’elle, les grandes personnes discutaient brutalement son infirmité devant elle ; et sa pauvre petite âme délicate apprit à souffrir avant même de connaître la signification des mots tristes… Elle chercha donc la solitude, les endroits où personne ne pouvait la voir ou l’entendre. Quand elle eut appris à lire, elle lut tout ce qui lui tombait sous les yeux, sans choix, sans discernement, avec une ardeur qui augmenta avec les années : là seulement, dans les livres, elle oubliait sa misère et elle sortait de la vie qui lui semblait si monotone et si dure. Elle affina ainsi son esprit, exagéra une sensibilité déjà un peu maladive, se donna, malgré le décousu et l’inopportunité de ces lectures, une personnalité et une culture qui, pendant de longues années, ne firent qu’augmenter sa souffrance morale.

Celle-ci grandissait avec les années et lui