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vent du nord lui cingle la figure, ses doigts bleuis retiennent, avec peine, le gros paquet mal attaché, et elle a chaud et froid tout à la fois.

Lasse, essoufflée, elle s’arrête au coin de la rue et elle s’appuie au mur. Les autos et les voitures filent, les tramways arrêtent, se vident, se remplissent et repartent. Comme elle serait vite rendue si elle y montait, mais elle n’a pas le sou ! Elle avait chaud tout à l’heure, voilà maintenant que des frissons lui courent dans le dos, et il se fait tard… sûrement, elle sera grondée pour avoir été si longue à rapporter ce manteau !

Mais bah ! Elle est grondée sans cesse… C’est curieux de voir tous ces passants : ils paraissent heureux, pressés ; ils courent… sans doute vers leur maison accueillante et chaude, leur Home. Elle n’a jamais eu de Home, elle, ni en Angleterre, ni ici. Elle ne se presse pas, elle, car elle va inévitablement vers de la tristesse : celle qu’elle connaît, et d’autre peut-être pire !

Quand elle se remettra en marche, ce sera vers la vilaine maison de l’avenue Laval où une maîtresse exigeante et vulgaire commande et gronde ; elle voit la petite chambre humide et froide du sous-sol, entre la cuisine sombre et malpropre, et la cave, où les rats grugent et se battent : c’est là qu’elle dort comme elle peut ; et tout le jour, elle court en boitillant, sans jamais arriver à conten-