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préparer le menu, donner des ordres, les répéter, en surveiller l’exécution et sentir dans son cœur une inquiétude qui le ronge, un chagrin qui le tourmente, et auxquels on refuse de s’arrêter parce que la foule des petits devoirs vous appellent, vous accrochent, enchaînent votre pensé et votre volonté c’est une fine torture qui a éprouvé bien des vertus féminines. Les vaillantes y vont de toute leur énergie en essayant de ne pas crier leur angoisse et d’être actives, attentives et patientes. Parmi elles il y en a qui ont même appris à bénir la contrainte tyrannique qui leur enlevait la liberté de s’occuper de leur chagrin. C’est que sur leur route, elles ont déjà rencontré des femmes qui, n’étant pas forcément distraites de leurs soucis ou d’une grande douleur s’y sont livrées entièrement. Délivrées des devoirs encombrants et des nombreuses responsabilités dont nous nous plaignons, mais privées aussi des bonnes tendresses exigeantes de la famille, elles ont été sans défense devant leur chagrin qui s’est emparé d’elles, les a roulées dans ses plis noirs et elles ne voient plus rien d’autre ! Tout ce qui est en dehors de lui, c’est-à-dire d’elles mêmes, est négligé et oublié, et fatalement, l’épreuve qui devait élargir leur cœur et l’attendrir en lui faisant comprendre les épreuves des autres, l’a replié en un farouche mouvement d’égoïsme qui le déforme.