Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, cinquième série, 1922.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est que de tout cœur, et par des liens subtils et forts, je suis attachée à l’Irlande. Du plus loin de ma petite enfance, j’en ai entendu parler avec une piété fervente, comme du pays le plus merveilleux, celui où l’on aime le mieux, celui où l’on prie avec plus de foi, le pays où les saints et les fées tour à tour viennent à votre secours quand vous êtes dans l’embarras, le pays, enfin, où tous les prêtres sont des saints et tous les fidèles, des frères. Ma bonne, Kate McGinlev arriva tout droit d’Irlande chez nous : elle y passa quinze années, ne s’acclimata jamais complètement et n’apprit pas un mot de français. Par contre, quand elle était très émue ou quand elle nous racontait ses extraordinaires histoires, elle retombait dans le brogue délicieux que nous imitions à la perfection à sa grande joie et à l’amusement de nos parents. D’une voix douce, un peu basse, elle chantait de jolis airs qui me donnaient envie de pleurer. Comme elle avait soin de nous exclusivement, elle ne nous quittait pas et tout lui était une occasion de rappeler son pays, ce paradis où cependant l’on avait tant de misère ! Les souvenirs de son enfance rustique, remplie de superstitions et de prières, les contes et les légendes auxquels elle croyait si fortement, nous faisaient vivre dans un monde chimérique, où il était tout naturel que les petits « goblins, » en collerette rouge, vinssent dérober nos cordes à danser et cacher nos pelles et nos rateaux. Ils en