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mais j’aimerais mieux avoir quelquefois du chagrin et me sentir plus vivante ! Est-il possible que deux, trois, beaucoup d’années s’écoulent dans cet assoupissement, sans rien à faire, aucun but, aucun intérêt ? Je regrette le couvent où j’étudiais, je causais, je jouais et je riais…

Encore un soupir et peu à peu la tête blonde s’abandonne sur le dossier du fauteuil, et paisiblement, comme une enfant qu’elle est encore, la petite s’est endormie. Pendant que la jeune fille fait des rêves d’or en tenant entre ses doigts fins une broderie fleurie, pendant qu’elle s’ennuie un peu dans la monotonie d’une existence trop douce, la vie, au dehors, sème de la joie et des tourments, brise les cœurs et torture les consciences, sépare ceux qui s’aiment et enchaîne ceux qui se détestent : elle crée des bonheurs éphémères et elle blesse les cœurs trop confiants.

La petite dormeuse, pourtant, désire sortir de son jardin fermé pour se jeter dans la mêlée ; elle veut pleurer et elle veut aimer.

Elle dédaigne son bonheur actuel : elle sent en elle des puissances vivantes et captives. Elle donnerait sans hésiter sa sécurité, son existence si tendrement gardée, pour aller vers l’inconnu mystérieux où il se passe des choses et où l’on vit !

L’oncle débonnaire est rentré : il a lu jusqu’aux annonces de son journal, il est las et il regarde en souriant sa petite enfant