Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, cinquième série, 1922.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mains. — Je vois que tu me reconnais, reprit-il à voix presque basse, mais pourquoi as-tu si peur, Marie, je ne suis pas un revenant ? — Tremblante elle balbutia « J’ai plus peur de toi vivant que d’un revenant, Jean Mathieu !

S’approchant d’elle, il détacha doucement ces pauvres mains de la figure terrifiée :

— Je n’ai pourtant jamais été mauvais pour toi ? — C’est vrai… mais… je te croyais mort… je t’ai attendu si longtemps, si longtemps !… puis le petit est mort ; j’étais seule… je me suis remariée… Mon Dieu, que c’est affreux ce qui arrive !

— Écoute, Marie, je ne viens pas te faire des misères : je savais que, vingt ans après mon départ, tu avais épousé Joe Robert. Tu n’as rien à te reprocher, ma pauvre femme, c’est moi qui ai tous les torts et je ne suis pas si fautif que je le parais ! Quand je me suis sauvé du chantier, vois-tu, j’étais fou, oui, j’étais fou : j’avais bu, je m’étais battu avec Varette. Il était étendu dans la neige, j’ai cru que je l’avais tué. Alors je me suis enfui… j’ai couru, marché et couru encore : j’ai eu froid et j’ai eu faim ; j’ai entendu hurler les loups et je n’étais pas armé ; puis j’ai fini par gagner la frontière, j’ai pris un autre nom, et pendant des mois j’ai vécu dans la terreur d’être découvert et arrêté.

Il y a environ trois ans, j’ai appris que Varette n’avait pas même été blessé, qu’ici on me croyait mort, et la pire de toutes les