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XIV

L’Aumône Ingénieuse


Je ne sais où j’ai lu cette petite parabole qui m’est revenue aujourd’hui.

Un pauvre vieil homme, très vieux, très pauvre, très déguenillé, descend une côte. Pour toute nourriture, il n’a que des radis dans son panier défoncé. Il les mange un par un et jette les petites feuilles vertes. De temps à autre une plainte s’échappe de ses lèvres : « Seigneur ! Seigneur ! Personne n’est aussi malheureux que moi sur la terre ! »

Voici que, se retournant par hasard, il aperçoit, derrière lui, un autre vieil homme, plus vieux, plus déguenillé que lui encore et qui ramasse les feuilles de radis et les mange avec avidité. — « Seigneur ! Il y en a donc de plus malheureux que moi et qui se nourrissent de ce que je dédaigne ! » Oui, il y a toujours plus malheureux que soi, c’est notre égoïsme qui nous empêche de les voir.

Qui ne se plaint aujourd’hui de la cherté des vivres, des hardes, de tout ? Les plus riches se lamentent autant que les pauvres, et pourtant eux, ils n’ont qu’à donner plus d’argent, ils ne songent jamais à se passer des objets dispendieux. Ceux même pour qui la vie est devenue plus difficile ont-ils le droit de tant se plaindre quand ils mangent à