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joie mystérieuse et ineffable dont elle ignorait la source et qui, peu à peu, remplissait son cœur en attendant d’empoisonner sa vie. Ses lettres étaient exquises : sa jeunesse isolée, sa beauté perdue, son inaction forcée avaient développé en elle une vie intérieure intense. Son cœur, somnolent jusque là, s’éveillait avec des réserves de tendresse pure et d’adorables ignorances qui devaient charmer le brave soldat, et de son côté, il s’attachait insensiblement à cette amie lointaine.

Les années se succédaient : il avait été blessé et elle l’avait comblé d’attentions délicates, et sans cesse, les lettres se croisant d’un côté de l’océan à l’autre, nouaient entre eux des liens dont ils ne sentaient encore que la douceur.

Chez la jeune fille cependant, le remords de n’avoir pas été vraie avec son ami, grandissait avec l’affection qui l’envahissait. C’est un besoin si impérieux de dire la vérité entière quand on aime… elle ne se décidait pas, pourtant, à avouer à l’homme loyal qui avait confiance en elle, que celle qu’il appelait sa meilleure amie était laide et infirme, et qu’elle le lui cachait depuis quatre ans ! Elle tentait parfois de se rassurer : « Il ne le saura jamais ! » se disait-elle, mais dans son cher bonheur il entrait maintenant une angoisse qui la torturait, car elle était droite et fière.