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Quel douloureux mystère que celui qui nous oblige à changer d’âme et de visage et qui change également ceux que nous aimons !

Avez-vous déjà pensé à la béatitude d’un être qui n’aurait dans sa vie qu’un seul sentiment, un seul amour qui, sans fin, se renouvellerait et renaîtrait comme, sur un très vieux rosier, fleurissent sans cesse des roses nouvelles ?

J’y pense, c’est bien cela que sera le ciel : nous serons fixés dans un bonheur toujours le même et sans cesse renouvelé. Quel repos après toutes nos vacillations et tous nos tourments !

C’est ce besoin de trouver le bonheur dans un sentiment unique qui fait la ténacité des illusions de certaines femmes : elles résultent de leur volonté inconsciente de ne pas les perdre. Elles en ont besoin comme elles ont besoin l’air respirable. Elles sont des idéalistes que le vrai attire mais que la chimère séduit. Elles souffrent de voir s’évanouir leurs rêves, mais avec une persévérance touchante elles les recommencent. Elles ont besoin de croire : de croire en un Dieu qui protège parce qu’elles se sentent faibles, et de croire en ceux qu’elles aiment parce qu’elles ne peuvent se passer d’aimer !

Et c’est parce qu’elles sont ainsi qu’elles sont plus vibrantes et plus bonnes, et que l’âge, loin de diminuer leur sensibilité et leur tendresse, les rend plus délicates et plus généreuses. Leur jeunesse passe, mais une