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rées, le triage des pommes, les épluchettes de blé d’inde sont l’occasion de joyeuses réunions dans les villages et dans les rangs. Les routes boueuses et les premiers froids qui pincent semblent doubler le plaisir des vieilleux. C’est si bon de passer du Noir et du Froid dans la vaste cuisine où le poêle, les lampes et la bouillotte chantent leur chanson de bienvenue, pendant que les hôtes, auprès des grands paniers de maïs, attendent leurs invités. Vite on se met à l’ouvrage ; les gais propos, les éclats de rire volent avec les pelures que l’on lance en tas, au milieu de la pièce où les barbes soyeuses ressemblent à des chevelures blondes.

On cause, on se turlupine, on chante, et tout à coup, sans raison, tout le monde se tait, et quelqu’un dans le silence murmure : « C’est un ange qui passe »… Et comme si réellement, un effleurement d’ailes avait laissé un frisson d’infini, la gaieté est moins bruyante, les conversations languissent. C’est l’heure du conteur : jeunes et vieux, réclament une histoire, et le vieux la médite en bourrant sa pipe tout en surveillant son auditoire devenu attentif et grave. Nombreux sont les coups d’œil furtifs jetés vers les coins sombres : les chaises se rapprochent, les amoureux se prennent la main à la dérobée, et on frissonne d’avance, car le bonhomme raconte les « peurs » d’une façon inimitable.