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Pour faire accepter une vérité, il ne faut pas seulement affirmer, mais il faut examiner, discuter et convaincre. Et le seul résultat possible de notre entretien, vous m’affirmant une opinion et moi l’examinant, c’est la conclusion : « Je suis convaincu » ou « je ne le suis pas. » Si je ne le suis pas, comme « la loi du Christ est la loi parfaite de la liberté, » vous n’avez pas le droit de m’imposer une opinion dont, dans ma conscience — cette lumière intérieure que Dieu m’a donnée — je ne puis voir la rectitude. La violence pourra sans doute me faire taire, mais produira-t-elle jamais l’adhésion de l’esprit ? Certainement non. On n’atteint pas l’esprit en torturant le corps et celui-là reste libre malgré les chaînes dont on charge celui-ci. Voilà ce qui montre que l’Église ne saurait être autre chose que la société libre et universelle des esprits ; et d’un esprit à une autre on ne conçoit pas la coercition. Voilà ce que l’ultramontanisme ne veut pas reconnaître, mais ses prétentions viendront éternellement se briser devant la grande leçon donnée il y a dix-huit siècles : « Vous ne savez pas à quel esprit vous appartenez. » Cette parole condamne l’intolérance ; il ne l’a donc jamais comprise, ou il l’a méprisée, ce qui est bien autrement grave.

Or s’il n’y a pas à sortir de l’idée de la liberté de l’esprit même dans la sphère religieuse, que sera-ce dans la sphère purement temporelle ? C’est là surtout que les doctrines ultramontaines sont fausses à tous les points de vue. Leurs partisans en sont arrivés à nier la liberté de l’individu même dans le domaine purement social et politique ! À quel esprit appartiennent-ils donc ? Ils ont osé dire que le catholique ne devait pas se former d’opinion politique sans consulter le prêtre, et de là ils ont poussé leur merveilleuse logique jusqu’à soutenir que le Parlement ne devait pas même discuter un projet de loi qui lui serait soumis par les Évêques, mais le passer respectueusement tel que présenté !  ! Autant vaut déclarer de suite les Évêques infaillibles et omnipotents, et faire de la Législature l’instrument passif du pouvoir ecclésiastique. Et ces extravagances ultramontaines s’expriment journellement dans tous les organes du plus terrible despotisme qui ait jamais pesé sur le monde ! Et profondément impie est celui qui ne se soumet pas d’esprit et de cœur à ces audacieux empiétements sur la raison et la conscience publiques !  !

Puisque l’on s’obstine à ne pas voir le précipice vers lequel on marche les yeux tout ouverts, les avertissements venant de tous côtés — car enfin il n’y a pas un gouvernement ni un homme de quelqu’indépendance au monde qui ne repoussent l’idée ultramontaine ; — puisque l’on semble aveuglé par le mutisme, nécessairement temporaire, que l’on a produit dans une population confiante mais qui ne s’en éveillera pas moins elle aussi quand les folies auront atteint leur point culminant, je crois plus que jamais nécessaire de maintenir énergiquement vis-à-vis de ses ennemis naturels l’idée de la suprématie primordiale du corps politique sur toute autre autorité. Dès le neuvième siècle, l’empereur Charles le Chauve rappelait au Pape Adrien ii que « les Rois n’étaient pas les lieutenants des Évêques ; » et comme les nations peuvent encore beaucoup moins l’être, il faut bien quelquefois rappeler aux Évêques qui veulent escamoter à leur profit la souveraineté d’un peuple, que ce n’est certainement pas au dix-neuvième siècle que l’on obtiendra une suprématie qui était contestée même à la pire époque du moyen-âge.

L’ultramontanisme veut que ce soit le Pape, conseillé par un entourage qui, depuis des siècles, se montre absolument étranger aux plus simples notions de la philosophie du droit, qui soit l’arbitre suprême des principes et des opinions des hommes ! Et ceux qui ont étudié l’histoire ecclésiastique pour y voir clair et non pour se laisser tromper ou tromper les autres ; ceux qui ont étudié le droit canon et surtout médité sur ces innombrables bulles où les Papes ont proclamé tant de principes faux à tous