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seule règle de conduite des gouvernements, ce qui conduit directement à une refonte complète des institutions dans le sens clérical. C’est donc vraiment une révolution que le Clergé veut préparer et organiser sous prétexte de religion. On veut rendre le Pape maître de tout dans la sphère sociale comme on vient de le faire dans la sphère religieuse en se mettant en contradiction formelle avec toute l’ancienne constitution de l’Église. Et ceux qui comprennent ces tendances subversives des prétendus amis de l’ordre seraient bien coupables s’ils se taisaient quand les autres parlent si haut. Se taire en pareille circonstance impliquerait connivence, ou lâcheté, ou inaptitude à saisir le vrai but des ennemis de toute liberté. Et l’idée absolutiste devient trop audacieuse au milieu de nous pour que les hommes qui n’ont pas abjuré leur conscience et fait table rase de leurs principes devant ceux dont la conscience et les principes se résument uniquement dans l’idée de l’omnipotence papale, ne protestent pas contre ce débordement d’ambition ecclésiastique qui est peut-être le plus grand scandale de notre époque.

Sans doute il y a bien des siècles que ce scandale existe ; mais on aurait cru qu’avec le progrès des lumières, cette funeste ambition aurait peu à peu fait place à une appréciation plus sensée de la position que doit occuper le Clergé dans les sociétés. Or nous voyons au contraire que ce parti remuant et dominateur qui répond à la dénomination d’ultramontanisme est plus que jamais entiché de l’idée, ou plutôt du rêve, du triomphe universel de la théocratie romaine, même depuis que la perte définitive du pouvoir temporel en a fait disparaître le côté le plus odieux. Ce parti a été pendant plusieurs siècles retenu dans certaines bornes par les Églises nationales et surtout par cette illustre église de France qui voulait soumettre le Pape aux canons, réclamait l’indépendance du pouvoir civil, protestait contre les excommunications pour causes temporelles, proposait le retour aux libertés et à la discipline de la primitive Église comme seul moyen d’arrêter le développement de l’autocratie papale, et cherchait au moins à concilier la foi et la raison.

Il est triste, à l’époque où nous sommes, de voir les doctrines contre lesquelles protestait St. Louis encore proposées comme vérités de salut ; car ou ces doctrines sont fausses ou l’on n’aurait pas dû mettre ce roi honnête homme au nombre des saints. C’est vraiment à St. Louis que remonte l’idée gallicane de la non-omnipotence du Pape ; c’est lui qui l’a formulée dans sa pragmatique sanction, dont quelques faussaires de nos jours ont osé contester l’authenticité parce que si vraiment le gallicanisme est une hérésie, St. Louis était hérétique puisqu’il est allé beaucoup plus loin qu’aucun de ses successeurs dans sa résistance énergique à Grégoire ix. C’est St. Louis qui a rappelé à ce Pape que le pouvoir civil en France était complètement indépendant du chef de l’Église. Comment pourrions nous être damnés aujourd’hui pour soutenir une doctrine qui n’a pas empêché St. Louis d’être reçu à bras ouverts dans le Ciel ? On devrait en vérité un peu plus songer au passé, à certains détails de l’histoire ecclésiastique qui montrent si bien les folies absolutistes de notre temps ; à l’isolement pendant des siècles de l’ultramontanisme en Europe, confiné qu’il était à la seule Italie, et je pourrais même dire au seul domaine des Papes ; aux solennelles protestations à diverses époques de tous les gouvernements et de tous les Clergés nationaux contre ses principes, ses intrigues, ses contradictions suivant les hommes et les circonstances, ses audacieuses usurpations et ses intolérables abus dans toute la catholicité — abus si éloquemment constatés dans les cent griefs de la nation germanique — avant d’envoyer les gens en enfer aussi libéralement qu’on le fait aujourd’hui.

Il n’y a que peu d’années qu’un Archevêque de Paris, mort victime de son devoir,[1] disait hautement : « La

  1. Mgr Affre.