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de ces théologiens pervers ou ineptes qui permettent certaines abominables immoralités que tous leurs confrères honnêtes réprouvent ? Le père Braun avait-il plus le droit d’arguer des seules prétentions des fous et de laisser complètement les sages de côté ? Au reste il n’a fait là que tomber dans la faute invariable que commet depuis des siècles l’école à laquelle il appartient : défigurer systématiquement, audacieusement, la pensée de l’adversaire pour mieux l’écharper sur ce qu’il n’a jamais dit.

Si le Prédicateur était vraiment sincère en parlant ainsi, cela prouve tout simplement que comme publiciste il est à peu près de la même force que les jeunes gens qu’il enseigne au Collège des Jésuites. Au reste il est souvent bien difficile à un homme d’étude de lire sans impatience, et absolument impossible de lire sans pitié, les élucubrations ecclésiastiques que l’on nous sert chaque matin sur le droit public, car elles montrent toutes chez leurs auteurs une absence complète d’études suivies sur cette branche de la science politique. Ce n’est le plus souvent ni du droit ni de la théologie, mais du pur bavardage de collège, de la rhétorique cléricale destinée à persuader l’élément laïc qu’il n’est rien dans le monde comme puissance morale, et qu’il est tenu de s’effacer sans murmure devant l’élément ecclésiastique, seul possesseur de la clé du temple de la vérité. On réclame avec l’arrogance dont nous sommes témoins le droit exclusif d’enseigner les autres, et tout ce que l’on écrit sur certains sujets montre que l’on est parfaitement étranger aux premiers rudiments des sciences que l’on prétend exposer d’autorité. Le fait est, comme je l’ai dit plus haut, que toutes les prétentions ultramontaines sur la subordination complète de l’État à l’Église, remontent aux fausses décrétales et en découlent. Or personne n’ignore aujourd’hui que c’était là un pur recueil de déception et de mensonge que l’on est forcé aujourd’hui, même dans le camp ultramontain, de rejeter en bloc malgré les efforts désespérés que l’on a faits pendant trois siècles pour pallier la fraude et lui conserver quelque prestige, mais que l’on tient encore énormément à appliquer en détail. Ou renie l’œuvre, mais on ne s’en sert pas moins autant que l’on peut sans le dire. Et pourtant le Pape Pie VI a été obligé d’admettre la fraude en 1789, près de deux siècles après quelle eût été démontrée ; mais nous n’en voyons pas moins à tout instant surgir quelque tige obstinée du sol clérical.

Eh bien, je croyais le Clergé plus avancé qu’il ne l’est dans son œuvre néfaste de courber insensiblement l’opinion publique sous sa férule. L’indignation chez les uns, et le rire chez les autres, qui ont accueilli les idées exprimées par le père Braun montrent parfaitement à qui veut voir que les choses contre nature et qui offensent le bon sens public ne peuvent jamais prendre racine nulle part sous quelque grand nom qu’elle s’abritent. Il suffit que ces exagérations se manifestent pour provoquer de suite le protêt énergique de la conscience publique. Nous sommes moins ultramontanisés que je le croyais.

Le sermon du père Braun a produit dans notre société précisément le même effet que le célèbre discours du général des Jésuites Laynez au Concile de Trente. Son effort désespéré, appuyé de toutes les colères des Évêques italiens, pour faire accepter par les pères du Concile le principe de l’omnipotence du Pape, ne fit qu’ouvrir les yeux des autres Évêques sur les desseins de l’ultramontanisme, et faillit misérablement. On connaît les énergiques protestations qu’il provoqua chez les Évêques de France et d’Espagne, et l’attitude déterminée qu’ils prirent contre les prétentions ultramontaines.

Nous voyons la même chose se produire parmi nous à propos des doctrines romaines sur le temporel. La conscience publique s’est émue et l’esprit d’envahissement clérical est devenu moins à craindre par le fait seul qu’il a voulu s’affirmer hautement. Le terrain préparé avec tant de sollicitude