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mot, l’un des plus ardents promoteurs de l’idée de la suprématie de droit divin du Clergé en tout ordre de choses. Son passé comme jeune homme était loin d’être éblouissant de sagesse, car Monsieur avait déjà une maîtresse avant d’entrer en philosophie. Mais on pardonne beaucoup dans l’Église à ceux dont on espère faire des instruments. Mon homme se mit donc à écrire des articles en fort bon style, pourfendant sans merci les hommes de conviction et dénichant de cent lieues la plus petite velléité libérale chez un confrère. Jamais on n’avait vu tant de zèle et d’amour du Pape. Notre zélé pratiquant des bons principes n’en donnait pas moins force coups de canif dans son contrat de mariage, contrat du reste où beaucoup de roman et de sacristie s’étaient mêlés, mais ceux qui l’avaient pris à leur service ne pouvaient clairement renoncer à si belle plume pour si mince cause, et on fermait les yeux avec le plus édifiant parti-pris. Et pardessus le marché, mon homme eut l’heureuse idée de ne pas manquer la religieuse escapade de la Gatineau ni l’orgie qui s’en suivit. Mais on avait besoin d’une plume, et l’on pardonnait tout. Ah ! si un libéral eût fait la dixième partie de cela, les chaires auraient croulé sous le poids des anathèmes !

Un jour qu’il se trouvait à New-York, où il était allé chaperonner le premier détachement de Zouaves qui sont allés protéger le pouvoir temporel, mon homme fit un petit dîner avec quelques amis. L’un d’eux, mon parent, lui dit après quelques verres consacrés à l’amitié : — Mais dis-moi donc, X… comment diable fais-tu pour écrire si bien des articles dont tu ne penses pas un mot ? Avec nous tu parles des prêtres comme Voltaire, et dans ton journal tu les encenses comme un vieux thuriféraire ! Vas-tu continuer longtemps ce jeu là, penser d’une manière et parler de l’autre ? « 

Et voici, Mgr, la réponse textuelle de ce rédacteur à bons principes, et si transporté d’amour pour le Pape. Et je demande même pardon à V. G. d’être obligé de copier l’expression que ce zélé défenseur de la religion s’est permise. Mais ce défenseur, qui l’a formé ?

— Que veux-tu, mon cher, ce n’est pas de sitôt que nous pourrons nous débarrasser, en Canada, de cette s… canaille de prêtres !  !

Voilà, Mgr le mot d’un homme qui a fait son chemin par le moyen du Clergé ! C’est un de ses élèves les plus choyés qui parle ainsi ! N’y aurait-il pas, par hazard, quelque vice grave dans une direction qui produit de pareils résultats ? Ces élèves, si moralement dirigés, pensent d’une manière et écrivent de l’autre pour faire leur cour ; insultent par hypocrisie de zèle ceux qu’ils savent être sincères et dont la vue seule souvent les fait rougir de leur propre duplicité ; mordent sans relâche tout ce qui n’est pas servile et abject comme eux ; et le Clergé, tout en n’ignorant nullement le fond de leur pensée ni les détails de leur conduite, se sert d’eux et leur dicte ce qu’ils doivent dire !  ! Où dénicher la morale et la conscience dans ces hypocrisies et ces connivences, Mgr ?

Et je retrouve partout le même système. Personne n’ignore la grande lutte qui avait lieu il n’y a pas très longtemps dans une « Union » célèbre pour la soustraire en partie à l’influence du Clergé. On se rappelle encore quelles ardentes discussions ont eu lieu ; combien on s’insurgeait d’un côté contre une direction mesquine, étroite et tracassière ; et combien on criait à l’insubordination de l’autre. Tout paraît marcher sur des roues aujourd’hui grâce à la capacité d’intrigue des uns et à la longue habitude de suivre des autres ; mais on entend encore bruire dans l’atmosphère les brûlantes épithètes adressées par ceux qui voulaient cesser de suivre à certain chapelain plus remarquable par le mouvement qu’il se donne dans nos rues que par sa discrétion et surtout sa franchise. On n’a pas encore oublié qu’il était un beau jour surpris en pleine séance changeant le sens d’une lettre qu’il communiquait à ceux auxquels il était chargé d’inspirer des sentiments de religion, mais