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sent les ressorts secrets que l’on a fait jouer pour amener le Clergé à recommander aussi fortement qu’il l’a fait la nouvelle combinaison politique. Mais quand on verra enfin la vérité ; quand on saura que le Clergé a approuvé l’infâme répartition de la représentation que l’on a imposée au Bas-Canada, et qu’en échange de promesses dont les évènements ont montré l’inanité il a poussé le peuple de toutes ses forces à sanctionner l’anéantissement de ses droits, alors il se fera une réaction qui dépassera peut-être beaucoup le champ de la politique. Car le peuple finira par comprendre que l’essence du pouvoir clérical est la négation de tout droit qui ne découle pas du bon plaisir du Pape, principe odieux qui sape par sa base tout droit naturel et politique et qui met un peuple à la merci du Clergé. Et l’on a vu depuis des siècles ce que deviennent ces masses humaines qui acceptent aveuglément la direction d’un pouvoir qui n’a jamais eu et ne saurait avoir d’autre règle que l’arbitraire.

L’infaillibilité d’un homme sur les questions de mœurs, c’est-à-dire en matière sociale, politique, législative, légale ou scientifique, donc sur tous les sujets de l’ordre temporel, est la plus terrible aberration de l’histoire. C’est, a dit un illustre prêtre mort dans le sein de l’Église : « C’est la plus grande insolence qui se soit encore autorisée du nom de Jésus-Christ ! » Ce principe de l’infaillibilité en matière temporelle ne peut signifier que l’arbitraire sous sa pire forme ; le pouvoir absolu et illimité d’un homme qui n’a aucune espèce de responsabilité en ce monde, et auquel les flatteurs en droit canon répètent à l’envi depuis des siècles qu’il est au dessus de tout droit positif humain ou divin, qu’il ne peut être lié par aucune loi, qu’il peut commander à la raison humaine même dans les choses que « Dieu a laissées aux disputes des hommes, » et qu’il est dans le monde le seul dispensateur de la vérité même dans la sphère purement temporelle ! Avec pareilles attributions, les gouvernements deviennent esclaves du sacerdoce, les peuples ne sont plus que des troupeaux taillables et corvéables qui n’ont aucun droit d’examiner le sort qu’on leur prépare, ni de surveiller leurs administrateurs ; la raison humaine perd tous ses droits puisqu’elle ne doit plus recevoir sa direction que du Pape en tout ordre de choses, et il n’y a plus qu’un seul souverain maître des sociétés et des états qui, suivant l’abominable prétention des commentateurs du droit canon, « peut faire juste ce qui est injuste, et injuste ce qui est juste !  ! » C’est à dire qu’il peut faire ce que Dieu lui-même ne saurait faire ! Est ce assez d’impiété comme cela ? Et n’y a t-il pas d’autres flatteurs en droit canon qui ont osé dire que « le tribunal de Dieu et le tribunal du pape n’étaient qu’une seule et même chose ? » Cette assertion est-elle une impiété et un blasphème, Mgr oui on non ? Et la Civiltà ne nous a-t-elle pas informés, il y a trois ans, que « quand le Pape pense c’est Dieu qui pense en lui ? Un catholique est-il vraiment tenu d’accepter cette assertion des Rév. pères rédacteurs du journal ? Dans quel système, Mgr, a-t-on jamais vu arbitraire comparable à celui-là ? Persuader à un homme qu’il est l’égal de Dieu !  ! Et cet arbitraire est la quintessence de l’ultramontanisme tel que défini par les commentateurs les plus autorisés du droit canon !  !

Le grand Bellarmin lui même, jésuite et cardinal, n’a-t il pas affirmé que « si le Pape ordonnait de commettre le péché et proscrivait la vertu, l’Église serait obligée de tenir le péché pour bon et la vertu pour mauvaise si elle ne voulait pas pécher contre la conscience ? » (Si autem Papa erraret præcipiendo vitia vet prohibendo virrutes, teneretur Ecclesia credere vitia esse bona et virtutes mala nisi vellet contra conscientiam peccare.) Est-ce à un pareil enseignement qu’un catholique est tenu de soumettre respectueusement sa raison ? Comment se fait-il que l’on n’ait jamais mis cette infâme proposition à l’Index ?

Je n’ignore pas que quelques commentateurs très modernes ont essayé