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l’Institut, acte incompréhensible pour eux et où ils ne pouvaient voir qu’une intrigue adroitement ourdie et pas la plus légère application d’un principe de justice ou d’une notion de devoir ! Ce qui les frappait davantage, c’était l’impossibitilé que devant une justice laïque bien organisée, pareil mépris de tout droit et de toute conscience put jamais s’introduire !

Or, Mgr ; il est difficile à un homme qui a subi une justice ecclésiastique qui déshonorerait n’importe quels Juges laïcs, fussent-ils Russes : à un homme qui s’est vu reprocher en termes insultants de ne pas s’être soumis à une décision qu’il attend encore ; il est difficile à cet homme de croire que la notion de la justice soit la même chez le prêtre que chez le laïc instruit et sincère. Nous voyons depuis des siècles celui-là commettre les plus épouvantables injustices par esprit de religion malentendue et subordonner en tout la vraie notion de la justice à l’idée de la suprématie ecclésiastique en tout ordre de choses ; et nous avons vu aussi de tout temps le légiste laïc dé-

    nier. Et Mgr de Montréal lui-même, dans sa lettre précitée du 13 Mars, nous dit : « Comme on le voit, il ne s’agissait plus, pour l’Évêque de Montréal, de comparaître devant le St. Père ou son représentant pour donner les motifs de sa démarche, mais pour recevoir une décision ! Aussi ne comparut-il que pour la forme devant le Cardinal Barnabo avec Mgr l’Archevêque et M. Taschereau.

    Voyons ! que veut-on de plus décisif ? L’Évêque ne parle à personne de son projet, pour n’avoir pas l’air de profiter de l’absence de l’Archevêque, et un beau matin, il apprend avant d’avoir donné une seule explication à qui que ce fût, que l’Archevêque avait fait désapprouver son projet ! L’Archevêque avait parlé seul et il avait pleinement réussi ! Et quand l’autre s’imagine qu’il va pouvoir présenter ses raisons, on l’informe que la cause est jugée contre lui ! Pourtant l’Évêque de Montréal était à Rome. Il était donc facile de lui demander de s’expliquer. Et n’eût-il pas été à Rome, la plus simple justice comme le plus gros bon sens exigeaient qu’on le fit. Ainsi donc, lui présent, on donne raison sans même le prévenir à son adversaire ! Chez nous, laïcs, cela s’appelle de la conspiration, jamais de la justice. Mais c’est peut être parceque nous n’avons pas les grâces d’état !

    Ne devait-on pas inviter Mgr de Montréal à s’expliquer avant de repousser son projet ? Eût-il tort, il devait être entendu. Avec des juges laïcs, il l’eût été certainement ; mais les cours ecclésiastiques entendent la justice tout autrement. C’est le plus pressé ou le plus adroit qui a raison. La Propagande, l’une des saintes congrégations, décide donc que les raisons ne l’Archevêque sont bonnes, et sans les connaître, prononce celles de Mgr de Montréal mauvaises puisqu’elle décide contre lui ! Et c’est Mgr de Montréal lui-même, l’admirateur passionné de la Cour de Rome et de tout ce qui s’y fait, qui vient nous apprendre qu’il est allé devant le Cardinal Barnabo, non pour être entendu, mais pour voir repousser son projet sans qu’il eût pu être entendu !  ! il était condamné avant d’avoir pu dire un mot ! Et cela par une sainte congrégation ! Si Mgr de Montréal veut se soumettre à cette moquerie de justice. libre à lui, c’est son affaire, mais de quel droit vient-il gourmander en termes amers les laïcs qui ne veulent pas l’admirer ?

    Est-il bien étonnant, à présent, que l’on n’ait pas communiqué à l’Institut la fausse accusation de Mgr de Montréal contre lui, quand on ne l’invite pas lui-même, quoique présent, à donner ses raisons ? On refuse à un Évêque que l’on a sous la main l’occasion de s’expliquer, et il serait impossible, d’après les trompeurs d’ici, que l’on ait l’ait la même injustice à des laïcs vivant à deux mille lieues de distance !  !

    Je n’entends pas le moins du monde, ici, jeter le moindre louche sur la conduite de Mgr Baillargeon, car je n’ai pas le droit de lui donner le tort sans connaître sa version des faits. C’est son collègue de Montréal qui, pour sauver les juges, prétend avoir été surpris par lui. Or, l’Archevêque avait le droit de soumettre sa cause, même quand Mgr de Montréal ne parlait pas de la sienne. Il a trouvé des juges qui lui ont donné raison sans demander à son adversaire de s’expliquer, tant mieux pour lui. Ce n’est pas lui qui a mal agi, ce sont les juges. L’Archevêque n’était pas tenu de supposer que les juges violeraient toutes les règles de la justice au point de ne pas entendre son adversaire. À eux seuls incombait le devoir d’appeler celui-ci pour connaître son point de vue de la question. En ne le faisant pas, qu’ils soient prêtres, laïcs ou cardinaux, ils ont certainement prévariqué ! J’invite les trompeurs d’ici à indiquer une autre alternative. Qu’un juge soit laïque ou Évêque, Roi ou Pape, il n’a jamais le droit de donner gain de cause à l’une des parties sans entendre l’autre. Et c’est parce que cela se fait tous les jours à Rome, que les tribunaux romains sont si décriés dans le monde. Mais quand on traite un Évêque présent comme Mgr de Montréal nous raconte qu’il a été lui-même traité, je demande ce que l’on ne se permettra pas contre des laïcs absents ?

    Mais ce qui montre combien peu les ecclésiastiques ont la vraie notion de la justice ; ou si on l’aime mieux, car c’est l’un ou l’autre, combien ils s’entendent pour voiler les fautes