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en conflit avec des laïques ; qui l’ai vue substituer adroitement une question nouvelle contre des absents sans les en prévenir, afin de les condamner sans les entendre sur la question ainsi substituée à celle que l’on n’osait pas décider ; qui l’ai vue mettre de côté toutes les notions de la justice comme toutes les règles de la procédure pour condamner la partie absente sur cette question nouvelle et qui était postérieure de quatre ans à celle portée en appel et sur laquelle on ne lui a jamais donné une décision quelconque ; qui l’ai vue enfin gourmander durement des hommes qui ne se soumettaient pas à une décision qu’ils n’ont jamais reçue !  ! Moi qui ai vu toutes ces choses, je m’explique très facilement comment, avec les moyens voulus, on peut faire durer éternellement un procès à Rome. Mes lectures m’avaient depuis longtemps convaincu, et mon expérience personnelle m’a démontré, que les tribunaux romains sont organisés bien moins pour rendre la justice, que pour faire triompher par tous les moyens, licites ou non, les intérêts temporels de la hiérarchie quand les cas en sont susceptibles.

J’ai parlé de la justice romaine, et de sa procédure, et de la facilité avec laquelle on peut obtenir d’elle la condamnation des absents,[1] avec des hommes haut placés dans la magistrature et dans le barreau ; avec des hommes qui ont des notions exactes et élevées sur qui est régulier on non en fait de procédure ; avec des hommes qui savent pertinemment ce qu’est en essence la justice, la chose la plus sacrée qu’il soit possible de concevoir puisqu’elle est tout à la fois le plus sublime attribut de la divinité et la plus haute manifestation de la dignité humaine ; puisqu’elle est la règle immuable de toutes les actions des hommes ; puisqu’elle n’est pas susceptible, comme la charité on la miséricorde, de plus ou de moins, étant réellement la seule idée absolue qui s’impose inviolablement à l’esprit, à la raison et à la conscience, et qui ne peut rien souffrir dans son objet qui lui soit contraire, ou qui la diminue le moins du monde ; puisqu’enfin elle est ce qu’il y a de plus primordial et de plus élevé dans l’âme humaine et de plus fondamental dans l’organisation des sociétés qui ne peuvent subsister que par elle !

Eh bien, j’ai vu ces hommes qui eux aussi ont de la conscience, de l’honneur et des lumières ; qui eux aussi comprennent ce qu’est le devoir chez le juge et le droit chez la partie ; je les ai vus, dis je, tout ébahis et scandalisés devant le simple récit des faits relatifs à la prétendue condamnation de

  1. Ces choses sont si étranges ; cette singulière et injuste habitude de donner si facilement gain de cause à celui qui réussit à parler le premier peut paraître si incroyable chez des hommes que l’on nous affirme n’agir jamais que par les plus exquises notions de conscience, que bien des personnes ici sont disposées d’accueillir d’emblée, et en quelque sorte avec une espèce de soulagement intérieur, les dénégations indignées de ces assertions que ne manquent pas de faire les intéressés, ou leurs représentants, ou leurs instruments. Malheureusement pour le système et ses défenseurs adroits ou non, la lettre même que Mgr de Montréal vient de publier le 13 Mars dernier, offre une preuve complète, irrésistible de mes assertions concernant les allures des tribunaux romains. Est-il témoin plus irrécusable que celui-là ?

    Nous voyons par cette lettre, qu’en 1862, Mgr de Montréal se rendit à Rome pour demander au St. Siège l’autorisation de fonder une Université à Montréal. Comme on s’y objectait à Québec, Sa Grandeur nous informe qu’avant son départ, elle prévint son Métropolitain de son intention, l’invitant même à se rendre à Rome, pour discuter la chose à l’amiable entre eux devant le tribunal chargé de prononcer. Mgr de Montréal se rend à Rome assez longtemps avant Mgr Baillargeon, mais nous assure qu’il s’abstint rigoureusement de dire un mot de son projet avant l’arrivée de l’Archevêque. Celui-ci arrive enfin, mais après avoir écrit à l’avance et préparé son terrain, suivant Mgr de Montréal. Et un beau jour, Mgr Nardi vient informer Mgr de Montréal que le Pape l’engageait à ne pas demander la permission de créer une Université à Montréal. Qui fût étonné et profondément étonné, ce fut naturellement Mgr de Montréal, qui n’avait soufflé mot à personne de cette question, et qui se voyait couper l’herbe sous le pied par son collègue, plus actif ou moins délicat suivant lui. « J’en tombai des nues » dit Mgr de Montréal à l’un de ses amis, d’après un écrivain du Franc Parleur du 21 Déc. der-