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ses officiers d’exécuter ses dispositions relatives à l’ordre public, et que ceux-ci obéissent à la loi après consultation sérieuse avec les Juges, qui sont chargés d’interpréter les lois ; il est souverainement déplacé, chez un Évêque comme chez tout autre, d’exiger qu’on lui soumette la formule qu’il a fallu adopter pour régulariser l’acte extralégal que la loi lui reproche. Ce n’est pas à celui qui s’est volontairement mis en faute et a jeté en toute préméditation le défi à la loi à contrôler la rédaction du document qui doit réparer sa faute. On aimerait savoir de quel droit celui que la loi corrige peut exiger qu’on lui soumette la formule de correction de sa faute pour qu’il voie si elle lui convient ou non ! Autant vaudrait que le Juge soumît sa sentence à la partie ! Un laïc qui demanderait ces choses provoquerait le rire universel ! Vont-elles devenir raisonnables et sensées par cela seul que c’est un Évêque qui s’entête contre la loi de son pays !

Mais puisque l’état éprouve tant de difficultés, tant de résistance au sens commun, tant d’arrogance dans les prétentions, de la part du corps qui est chargé de la tenue des régîtres de l’état civil, pourquoi donc n’organise-t-il pas l’état civil de manière à le rendre absolument indépendant du Clergé ? Tout le monde y gagnerait. L’état n’aurait plus d’officiers insubordonnés qui se moquent de ses ordonnances, et qui lui disent tout crûment qu’ils ne doivent obéir qu’au pape et pas le moins du monde à la loi ; le Clergé y gagnerait de n’être pas toujours en lutte contre l’autorité, contre son devoir comme partie intégrante de la nation, et souvent contre le plus simple bon sens ; et les citoyens y gagneraient aussi de ne plus être tyrannisés à tout bout de champ par des hommes plus zélés qu’éclairés, et qui mettent journellement de côté leurs devoirs d’officiers de l’état civil pour maltraiter des gens qui ne le méritent pas. On sait combien le prêtre devient implacable contre ceux qui lui opposent la moindre résistance, et combien il a la colère plus facile que tous les autres. J’ai déjà cité, dans mes remarques sur l’affaire Guibord, plusieurs exemples des odieuses tyrannies exercés par des curés arrogants (et quelquefois coupables de monstruosités, je l’ai appris depuis) contre des paroissiens paisibles et respectables, depuis le refus de parrains qui avaient voté pour un candidat libéral jusqu’à la menace de refuser le baptême aux enfants des libéraux, et au refus formel d’enterrer dans le cimetière un homme que le curé avait refusé d’aller voir à son lit de mort quoique prié à plusieurs reprises de le faire — infamie qui aurait dû le faire interdire s’il y avait une justice ecclésiastique qui méritât ce nom[1] mais il est clair que tant que l’État aura peur du Clergé ces criants abus subsisteront. Quand le Clergé croit qu’on a peur de lui, rien n’égale son arrogance. Mais quand il sent qu’il a affaire a des hommes d’énergie il change complètement de ton et d’allures et se réfugie dans la plus savante diplomatie, ce qui ne veut pas dire la plus sincère. Il ne faut pas l’avoir suivi beaucoup pour savoir cela.

Mais que l’on parle d’ôter l’état civil à ces Messieurs, ils vont crier à l’impiété et au danger de la religion ! Tout ce qui leur ôte un moyen de contrôle sur une population est l’abomination de la désolation. « Nous sommes maîtres du terrain, profitons-en, » disait Mgr de Montréal dans une circulaire secrète au Clergé, que j’ai sous les yeux. Avis au peuple et à ceux qui devraient le protéger contre l’envahissement ultramontain.

S. G termine ce qu’elle appelle sa requête, et ce que j’appellerai, moi, son manifeste de résistance au pouvoir civil, en arguant de la liberté religieuse. Le mot est assez singulièrement appli-

  1. J’ai en mains une partie des papiers relatifs à cette triste affaire, y compris le certificat d’inhumation délivré par le Curé. Les papiers qui ont rapport au fameux tour de passe-passe au moyen duquel on s’est mis en règle quand on a vu que la Législature allait intervenir, sont restés aux mains de l’un des députés du temps. J’ai donné le récit de ce fait de tyrannie cléricale dans mon pamphlet sur « l’affaire Guibord », page 41.