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À SA GRANDEUR
MONSEIGNEUR IGNACE BOURGET
Évêque de Montréal

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Montréal, 31 Juillet 1872.


Monseigneur,


Pardonnez moi si, à la suite de l’immense scandale causé par ce triste pamphlet, aussi plein de prétention que vide d’idée et pauvre de fond et de forme, qui a été publié sous le titre de « Comédie Infernale, » je me permets de faire avec Votre Grandeur un petit retour sur le passé quant à ce qui me concerne. Le silence complet qu’à gardé V. G. sur ce libelle diffamatoire contre des Évêques et des prêtres, rapproché de l’empressement qu’Elle a mis précédemment à émaner contre moi des lettres pastorales aussi acerbes dans la forme qu’injustes dans le fond quand je n’avais pas dit la centième partie des choses répréhensibles et outrageantes que ce pamphlet adresse à ses propres collègues dans l’Épiscopat, me paraît justifier la démarche que j’adopte aujourd’hui.

Je crois utile d’ailleurs de faire connaître à V. G. sous quel point de vue la majorité des laïcs instruits, quoiqu’on puisse Lui en dire, envisage certaines questions sur lesquelles le Clergé outrepasse trop souvent les bornes de la prudence et surtout de la justice dans les prétentions qu’il manifeste vis à vis d’eux. Je tiens d’autant plus à rappeler ces choses à V. G. que personne, dans son entourage immédiat, ou dans le cercle de laïcs qui l’approchent plus intimement, n’ose lui dire les choses telles qu’elles sont.

Ceux qui ont un peu sérieusement étudié la philosophie de l’histoire ecclésiastique savent qu’avec le Clergé, corps envahisseur par essence, ce que toute l’histoire vraie du Christianisme démontre surabondamment, on ne doit jamais cesser de réclamer énergiquement les droits de la pensée humaine contre ceux qui sont forcément ses éternels ennemis de principe et d’instinct. Partout où l’on n’a pas défendu ces droits, la nullification graduelle de l’intelligence générale en a été la suite. Qu’est devenu le génie littéraire du peuple romain sous la censure papale ? Complètement anéanti depuis des siècles !!

Il viendra nécessairement un temps où ceux qui m’insultent aujourd’hui par complaisance pour le Clergé et pour s’en faire bien accueillir, comprendront qu’en me posant comme obstacle, — trop faible malheureusement mais honnêtement convaincu de la rectitude de mon point de vue, — aux envahissements incessants de l’ultramontanisme, dont le caractère essentiel est de ne pas plus tenir compte de la conscience individuelle que de la dignité humaine dans le corps social comme chez le citoyen, je fais tout simplement acte de patriotisme et de loyale opposition à un grand danger public.