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ne veut pas qu’il se forme ! On aurait au moins le mérite de la franchise !


VIII


En 1855 une discussion assez vive avait eu lieu par suite de la proposition qui avait été faite d’exclure certains journaux de notre salle de lecture. La majorité se prononça contre cette exclusion et la minorité céda.

Cet institut étant basé sur un principe de tolérance, de bienveillance mutuelle ; la diversité de croyance religieuse n’étant pas un obstacle à l’admission parmi nous, nous nous fussions clairement mis en contradiction avec nous-mêmes si nous avions banni certains journaux parce qu’ils ne représentaient pas les croyances de la majorité.

Professant la tolérance civile et religieuse qui, quoi qu’on en dise, est devenue l’une des idées dominantes du siècle ; et qui nécessairement finira par faire disparaître cet esprit d’exclusivisme absolu contre les personnes qui domine encore certains esprits, l’Institut Canadien ne pouvait évidemment pas faire à ceux de ses membres qui professent les cultes dissidents l’injure de rejeter tout journal qui ne fût pas exclusivement catholique dans ses tendances.

Ou il ne faut pas admettre de protestants, ou il faut leur montrer, une fois admis, la considération qu’ils méritent comme honnêtes gens.

Respecter leurs idées, respecter leurs croyances, ce n’est pas les adopter ! Nous ne devons pas plus mépriser leur culte que nous ne devons leur permettre de mépriser le nôtre. Ni chez eux, ni chez nous, il ne doit y avoir d’esprit de propagande ; et pour ma part je vois plus de vrai sentiment religieux chez ceux qui, professant des principes différents, savent vivre en bonne harmonie les uns avec les autres, que chez ceux qui déclarent guerre ou exclusivisme implacable à tous ceux qui ne pensent pas comme eux !

Quel mal peut nous faire, à nous, Bas-Canadiens, la proclamation ouverte, formelle, du principe de tolérance, dans une population mixte où nous sommes en minorité ? Quel mal ne pourra pas nous faire, éventuellement, la proclamation du principe contraire ? Croit-on donner de la force au catholicisme, en déclarant qu’il ne veut rien souffrir autour de lui ? Croit-on que c’est en proclamant l’intolérance comme base de rapports entre chacune des sections d’une société mixte que l’on assurera la paix et l’harmonie dans cette société ? L’esprit religieux consiste-t-il à se déclarer les uns aux autres la guerre des idées ? N’est-ce pas ainsi que, dans tous les temps et dans tous les pays, on a réussi à amener ces conflits terribles qui ont ensanglanté l’Europe ?


IX


Dans un pays de population mixte, comment veut-on vivre en paix avec ses voisins si on proclame l’intolérance religieuse et l’exclusivisme absolu comme base nécessaire de l’organisation même d’une société littéraire ?

Il y a des distinctions essentielles que tout homme sensé est tenu de faire entre telle organisation et telle autre.

Une association ayant pour but l’étude et l’enseignement mutuel ne comporte pas, de soi, l’exclusivisme religieux. Dans toute population il y a des sociétés ayant un caractère plus particulièrement politique, d’autres ayant, un caractère plus particulièrement littéraire, d’autres enfin un caractère essentiellement religieux.

Que l’on adopte dans celles-ci le principe exclusif, cela se comprend, cela va de soi ; mais qu’on veuille le faire adopter dans une association essentiellement littéraire, et surtout qu’on proclame anti-religieuse une association littéraire dans laquelle on ne fait que se tenir en dehors, en tant qu’association seulement, de l’élément religieux, cela est d’une injustice flagrante et j’oserais me permettre d’ajouter, d’un absurde complet.

Je n’entends pas le moins du monde faire l’ombre d’une réflexion, ici, contre une autre association rivale qui n’a pas cru devoir adopter le même principe que nous ; elle est dans son droit en proclamant tel principe qu’elle trouve juste ; mais nous sommes aussi incontestablement dans le nôtre en agissant différemment ; et l’on commet une grave injustice envers nous en inférant l’impiété, ou même l’indifférentisme indi-