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que ces grands cris contre notre bibliothèque ne soutenaient pas l’examen ; et que le parti pris de blâmer, de juger sans entendre, de proscrire sans savoir, faisait après tout autant de mal à l’esprit qu’au cœur.


XXXII


Et je me permettrai ici un rapprochement que je ne puis jamais faire sans surprise. Je n’applique ce que je vais dire qu’aux laïques. Pourquoi tant de récriminations à propos de notre bibliothèque et tant d’admiration pour la bibliothèque provinciale ? Pourquoi ceux qui nous attaquent avec si peu de mesure ne voient-ils jamais cette belle collection de livres sans s’extasier sur son importance, sur son utilité ? Il n’est pas un Canadien qui, en entrant dans notre bibliothèque législative ne se sente heureux de voir un pareil dépôt de livres dans le pays ! Il n’y a qu’une voix pour dire que la législature a fait là un grand et noble emploi des fonds publics, et que cette magnifique collection, — magnifique au moins pour l’Amérique sinon pour l’Europe — témoigne hautement en faveur de ceux qui l’ont réunie !

Pourquoi donc tant d’éloges là et tant d’amertume ici ? Pourquoi faire de l’obscurantisme ici et avoir honte d’en faire là ? Les gens même qui pousseraient le scrupule jusqu’à se rejeter en arrière dans la porte de notre bibliothèque font leurs délices de celle de Québec ! Et pourtant si la notre mérite censure, ce que je nie, quelle plus énergique censure ne mérite pas celle du Parlement qui est assez complète en fait de philosophie, d’histoire ou de littérature ? Croit-on qu’il soit possible de réunir 55,000 volumes sans s’écarter un peu, beaucoup même, du cercle infranchissable que l’on veut tracer autour de nous qui, au fond, n’en sommes sortis qu’aux yeux seulement de gens qui sont beaucoup plus exagérés dans leur sens que nous ne le sommes dans le nôtre ? Si on doit crier à l’immoralité de quelques ouvrages, ce n’est pas ici ! Si on doit crier à l’esprit répréhensible, à certain point de vue, d’un nombre considérable d’autres ouvrages, ce n’est pas ici ! Pourquoi donc être si sévères ici et si coulant là bas ?


XXXIII


Voyons, sérieusement, quel est le député qui oserait, de son siège en Chambre, le catalogue en main, proposer que la bibliothèque fût expurgée de l’Encyclopédie du 18ème Siècle, de celle du 19ème, de l’Encyclopédie moderne, du dictionnaire de la conversation, — prisé très haut, dans tous les cas, par ceux-là même qui crient contre nous, puisqu’ils l’ont acheté, — des œuvres philosophiques de Cousin, de Jouffroy, de Hégel, de La Mennais, de Locke, de Jules Simon ; des leçons de géologie de Miller, de l’histoire de Paris de Dulaure, de l’histoire du Christianisme de de Potter, des admirables études historiques de Châteaubriand, du Jocelyn de Lamartine, ou des discours de Mirabeau ou de Victor Hugo ? Quel ne serait pas le rire inextinguible de la Législature et du pays ? Eh bien ! un certain nombre de ces ouvrages ne se trouvent pas dans la bibliothèque de l’Institut ! Ils sont tous dans celle du Parlement ! Et pourtant on admire là bas et l’on proscrit ici ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce là deux poids et deux mesures, oui ou non ?

Messieurs, ces rapprochements ont un effet sur les gens raisonnables, sur ceux qui sont désintéressés dans la question ; sur ceux qui sont plutôt influencés par leurs sympathies que par leurs préjugés ; sur ceux qui ne veulent pas mettre les bibliothèques sous le boisseau par crainte d’un danger imaginaire ; sur ceux qui croient au libre arbitre et à l’indépendance d’action des hommes faits ! Nous voyons tous les jours des citoyens de la plus haute respectabilité, qui ne sont pas membres de l’Institut, déplorer l’inimitié qu’on nous montre et la guerre imméritée qu’on nous fait !

D’ailleurs si, d’un côté, nous avons eu le regret de voir qu’on ne nous laisse pas même étudier tranquilles, nous avons eu, d’un autre côté, d’amples compensations dans les encouragements, les énormes présents que nous avons dernièrement reçus d’un homme qui ne demandait évidemment pas mieux que de laisser plus d’une trace de ce genre sur son passage, et qui sont venus donner une nouvelle infusion d’énergie, d’activité et de vie à notre Institut.