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Eh bien, reprenons les choses du commencement et examinons les faits de sang froid. Expliquons-nous, sans aigreur contre nos adversaires comme sans arrière-pensée vis-à-vis du public.

On accusait l’Institut de conserver de mauvais livres, des livres propres à démoraliser la jeunesse, dans sa bibliothèque.

Des membres de l’Institut disaient : « Elle contient des livres immoraux. » La majorité des membres de l’Institut répondait : « L’assertion est inexacte, elle n’en contient pas. »

Voilà exactement quel était le débat en 1858.

En présence de cette affirmation et de cette négation, que fallait-il faire ?

Il n’y avait clairement qu’une seule ligne de conduite à suivre : « Vérifier les faits ! » Eh bien, quelle tactique a-t-on adoptée ?


XXII


Le 13 avril 1858, une motion fut faite dans l’Institut, proposant de « créer un comité qui recevrait instruction de faire une liste des livres qui, dans son opinion, devraient être retranchés de la bibliothèque. »

À première vue, Messieurs, cette motion peut paraître très pertinente et surtout très inoffensive. Pourtant si on veut se donner la peine d’en bien saisir le sens et la portée, on se convaincra de suite qu’elle était complètement inadmissible. Pourquoi ? Parce qu’elle affirmait précisément ce qui était en débat !

« Faire une liste des livres qui devraient être retranchés »… Qu’est-ce que cela sinon affirmer emphatiquement qu’il y avait de tels livres et même qu’il y en avait tant qu’on en pouvait faire une liste ! Or comment la majorité de l’Institut, qui n’admettait pas qu’il y eût les livres immoraux dans la bibliothèque, pouvait-elle accepter une motion qui constatait très explicitement un fait qu’elle, la majorité, niait péremptoirement ? En adoptant cette motion, la majorité aurait implicitement avoué la vérité de l’accusation même contre laquelle elle s’inscrivait en faux ! !


XXIII


Pourquoi, en présence de la dénégation de la majorité, ne demandait-on pas la nomination d’un comité chargé de réviser la bibliothèque ? En supposant même du mauvais vouloir à la majorité, quel motif raisonnable pouvait-elle faire valoir, quelle objection plausible pouvait-elle offrir à la demande de la minorité de faire cette révision ? Il était certainement légitime à la minorité de proposer la révision, ou l’examen, dans un but quelconque, de la bibliothèque, mais il ne l’était pas d’affirmer l’existence des mauvais livres avant examen. C’était une erreur grave que d’affirmer un fait, avant de l’avoir régulièrement constaté !

Voudra-t-on dire que je fais ici une distinction puérile ? Messieurs, en affaires de cette importance, et quand il s’agit d’un fait qui peut emporter condamnation contre quelqu’un, la puérilité consiste à ne pas exprimer exactement l’état d’une question ; la puérilité consiste à ne pas savoir circonscrire rigoureusement un débat dans ses vraies limites ; à lui donner une portée, ou une signification qu’il ne doit pas avoir. Dans les corps délibératifs, depuis le plus grand jusqu’au plus infime, c’est celui qui ne sait pas dresser sa motion qui se met dans son tort, et non pas celui qui la repousse parce qu’elle dit trop ou trop peu. Ce n’est pas à l’accusé à corriger les motions de l’accusateur ! Au oui gratuit de celui-ci, il a incontestablement droit de répondre par un non gratuit.


XXIV


Si la minorité avait réellement eu l’intention de mettre la majorité en demeure, elle n’eût pas mêlé à une proposition légitime en elle-même l’affirmation du fait même que cette proposition avait pour but ostensible de prouver. On ne devait en justice affirmer qu’après la preuve et non avant !

Que s’en est-il suivi ?

La minorité affirmant, avant enquête, par sa motion, que la bibliothèque contenait des livres immoraux, la majorité affirma le contraire par un amendement