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viduel, contre les membres de cet Institut, du fait que nous proclamons la tolérance comme base de notre association.

Nous croyons de la meilleure foi du monde être plus dans le vrai en pratiquant la tolérance qu’en nous jettant dans l’exclusivisme.


X


Ce fut donc seulement en 1858 que l’on réussit à organiser un mouvement sérieux et fortement combiné pour modifier l’esprit de l’institution ou, si l’on n’y parvenait pas, la désorganiser. Les promoteurs du mouvement prirent pour prétexte la composition de la bibliothèque, et prétendirent qu’elle contenait des livres immoraux.

L’Institut est, à proprement parler, une association littéraire ayant pour but l’étude et la discussion. Un pareil corps doit, de toute nécessité, se former une bibliothèque. Sans bibliothèque, point d’étude approfondie possible.

Vu le peu de ressources dont il pouvait disposer, l’Institut dut avoir recours à la générosité publique pour s’en former une. Il acheta lui-même un grand nombre de bons ouvrages, en reçut, en pur don, un grand nombre d’autres, et parmi les dons offerts il se trouva peut-être une dizaine de volumes, au plus, que l’on pouvait à bon droit vouloir éliminer d’une bibliothèque. Je n’hésite pas à le dire, et je défie que l’on donne la preuve du contraire ; aucun de ces livres n’est resté longtemps sur les rayons de notre bibliothèque, et ils ont été généralement éliminés du moment que les bibliothécaires ou les autres officiers de l’Institut se sont mis au fait de leur contenu ou ont été informés de leur présence.

Au moment de la grande discussion de 1858 et de la malheureuse scission qu’en a été la suite, aucun de ces livres n’existait dans la bibliothèque. On l’a affirmé, on l’a répété à satiété, mais au moment du débat, alors même que l’on avait non seulement intérêt à prouver ce que l’on affirmait, mais que c’était un devoir impérieux de le faire si on le pouvait, on n’en a pas cité un seul !


XI


Il est toujours facile, Messieurs, de faire une longue tirade de lieux communs, d’écrire des phrases à perte d’haleine sur le danger des mauvaises lectures, car il y a toujours une certaine somme de vrai dans les idées qu’on exprime, vu que tel livre, parfaitement inoffensif pour l’un, peut ne pas l’être pour l’autre.

Que l’on mette les gens sur leurs gardes, rien de plus juste ; c’est plus qu’un droit dans certains cas, c’est un devoir. Mais on ne me contestera pas non plus qu’il doit y avoir une limite à certaines prétentions ; que l’on doit mettre un peu de discernement dans l’application du principe : « que toute lecture n’est pas bonne à tout le monde. »

Tel livre qu’on ne peut guère mettre entre les mains d’un collégien de 15 ans, n’offrira pas de danger à un étudiant de 25 ; et même, tel autre livre dangereux pour certains esprits de 20 ans ne le seront nullement pour certains autres esprits du même âge.

Maintenant, de ce principe « que toute lecture n’est pas bonne à tout le monde, » va-t-on déduire cet autre principe : « qu’une bibliothèque ne doit contenir que des livres inoffensifs à tout le monde ? Il faudra donc mesurer la bibliothèque à l’ignorance et non à l’instruction ! Il faudra donc que l’homme instruit se contente de livres où il n’aura rien à apprendre !  ! Va-t-on donner des permis d’après le caractère, le degré d’instruction ? Qui sera juge ? D’après l’âge ? Mais tel livre qui sera peut-être pernicieux à un homme illettré de 50 ans ne le sera pas à un homme de trente qui aura quelqu’étude ! Il est facile de déclamer mais il n’est pas si facile d’indiquer une ligne de démarcation définie et praticable.

Simplement pour faire du raisonnement pratique, et nullement dans l’intention de blâmer, sortons des lieux communs, des phrases généralisées, et voyons un peu ce qui se passe sous nos yeux tous les jours, mais ce à quoi nombre de bons esprits même ne font pas attention.